Les libraires face aux crises (2/5)

Alexandra Charroin-Spangenberg et Guillaume Husson : « L'économie des librairies est très fragile »

Alexandra Charroin-Spangenberg, présidente du SLF, et Guillaume Husson, délégué général du SLF - Photo Olivier Dion

Alexandra Charroin-Spangenberg et Guillaume Husson : « L'économie des librairies est très fragile »

Après un premier semestre tendu pour la librairie, Alexandra Charroin-Spangenberg, cogérante de la Librairie de Paris (Saint-Étienne) et présidente du Syndicat de la librairie française (SLF), et Guillaume Husson, délégué général du SLF, alertent sur les risques de déqualification de la profession et de diversification au détriment du livre. 

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Par Cécilia Lacour, Souen Léger
Créé le 02.09.2025 à 17h30

Livres Hebdo : Les derniers chiffres du Centre national du livre (CNL), publiés en avril, font état d'une hausse des fermetures de librairies. Dans le même temps, le solde démographique reste positif. Quel regard portez-vous sur ce bilan contrasté ?

Alexandra Charroin-Spangenberg : Il faut bien distinguer les deux typologies de fermetures avec d'un côté, un effet correctif suite à l'euphorie post-Covid des ouvertures et de l'autre, celle des librairies historiques. La fermeture de ces dernières est très inquiétante. Le SLF sonne l'alerte depuis longtemps et le rapport de Xerfi le soulignait encore lors des dernières Rencontres nationales de la librairie : l'économie des librairies est très fragile, il ne faut pas grand-chose pour qu'elle bascule. Ce « pas grand-chose » est arrivé avec l'inflation, la hausse des charges et un effet ciseaux qui nous touche de plein fouet.

Alexandra CharroinSpangenberg et Guillaume Husson   Combien de temps encore les libraires devront travailler damour et deau fraiche  1.jpg
Guillaume Husson, délégué général du SLF- Photo OLIVIER DION

Lire aussi : « Si la librairie tombe, toute l'interprofession tombera avec nous »

Guillaume Husson : Si nous neutralisons la bulle de création entre 2019 et 2024, la démographie est stable. Les chiffres de l'Acoss(1) soulignent qu'en 2023, nous avions rigoureusement le même nombre de librairies qu'en 2006. Mais plus que la démographie, la réelle question à se poser est la suivante : à quel prix les librairies restent-elles ouvertes ?

Les difficultés économiques de la librairie relèvent-elles davantage de phénomènes conjoncturels ou de problèmes structurels ?

G. H. : Les incertitudes politiques, géopolitiques ou climatiques créent un contexte angoissant qui a des effets sur l'ensemble de la consommation. Et pas seulement sur le livre. Ces éléments conjoncturels risquent de durer et viennent aggraver des équilibres structurels très précaires. C'est le cas de la baisse constante de la lecture.

« Il devient de plus en plus compliqué de continuer à réduire nos stocks tout en proposant un fonds intéressant »

Sans compter que 2026 et 2027 sont deux années à élections...

A. C.-S. : Le lendemain de la dissolution de l'Assemblée nationale, je n'ai vu personne en magasin. Nous nous préparons donc à deux années compliquées.

Dans ce contexte difficile, les libraires ont-ils encore des marges de manœuvre pour renforcer leurs appuis financiers ?

A. C.-S. : Le SLF travaille sur des boîtes à outils mais cela reste assez limité par rapport à nos marges de manœuvre. Les seules dont nous disposons réellement reposent sur la gestion de nos stocks et de la marge salariale. Nous étions déjà à l'os : il devient de plus en plus compliqué de continuer à réduire nos stocks tout en proposant un fonds intéressant, et de maintenir un nombre suffisant de salariés en librairie.

Alexandra CharroinSpangenberg et Guillaume Husson   Combien de temps encore les libraires devront travailler damour et deau fraiche  0.jpg
Alexandra Charroin-Spangenberg, présidente du SLF. - Photo OLIVIER DION

G. H. : Les librairies restent en effet ouvertes au prix d'une réduction des équipes et au prix d'une diversification en proposant des produits hors-livre avec une meilleure marge. Tout ceci a des conséquences sur les maisons d'édition. Plus que les effets démographiques, nous devons nous focaliser sur ce mal profond qui ronge les libraires.

A. C.-S. : L'année dernière, après la publication du rapport Xerfi, nos partenaires ont témoigné de l'incrédulité. C'est inquiétant : nous avons l'impression d'être les seuls à nous rendre compte de ce qui est en train d'arriver.

Êtes-vous vraiment les seuls à vous en rendre compte ?

G. H. : Nous voyons des réactions, mais elles ne sont pas à la hauteur de ce qui se joue aujourd'hui. C'est-à-dire un risque de déqualification de la librairie et de diversification au détriment du livre.

« Combien de temps encore les libraires vont pouvoir continuer à travailler d'amour et d'eau fraîche ? »

L'amélioration des marges des libraires est-elle votre combat principal ?

A. C.-S. : Nous sommes face à un tel niveau de difficulté qu'il faudrait une réaction globale et pas seulement sur un seul sujet. Augmenter les remises est une solution mais il en existe d'autres qui ne sont pas forcément entre nos mains. Des représentants et diffuseurs se rendent compte d'une accélération du turnover en librairie. Pour autant, nous ne voyons pas de changement massif. Le jour où nous ne serons plus capables de conseiller les catalogues, ce sera trop tard. La compétence et l'expérience seront perdues.

G. H. : Les ventes de nouveautés en littérature ou en sciences humaines sont portées à 70-80 % par la librairie avant d'être amplifiées par les autres circuits. Si la librairie tombe, les éditeurs et les auteurs nous suivront.

A. C.-S. : Nous entendons souvent que les libraires se plaignent depuis des années mais que nous sommes toujours vivants. En effet, et cela repose sur la passion de professionnels qui acceptent de peu se rémunérer voire pas du tout certains mois. Mais combien de temps encore les libraires vont pouvoir continuer à travailler d'amour et d'eau fraîche ?

Dans un monde idéal, à quoi ressemblerait une économie du livre favorable à la librairie ?

G. H. : Nous connaissons les conditions idéales et elles sont simples : appliquer la loi Lang. Moins connu que son article 1, l'article 2 de la loi de 1981 pose une discrimination positive pour la librairie. Il affirme, en substance, que le libraire ne peut pas répercuter ses charges - et notamment ses charges de personnel qui sont plus importantes que dans la grande distribution - sur le prix de vente du livre. Et qu'il faut donc que cela soit répercuté sur les conditions commerciales. La solution est là, écrite et légale. Elle n'est aujourd'hui pas appliquée. Si elle l'était, un libraire - dont 20 % du chiffre d'affaires est consacré au personnel - aurait de meilleures remises qu'Amazon ou la grande distribution - qui a entre 9 et 12 % de son CA consacré au personnel. Or on sait très bien que c'est l'inverse. Revenir à la loi Lang, dans son esprit et sa culture, permettrait de préserver des équilibres que nous sommes en train de perdre.

A. C.-S. : Je tiens à rappeler que la loi Lang n'est pas un caprice de la librairie, elle a été pensée par les éditeurs. Notre situation de crise actuelle mériterait un big bang comme à l'époque. Les pouvoirs politiques ne font par ailleurs pas preuve d'un soutien massif à la culture. Le CNL a publié une étude qui pointe encore une baisse de la lecture. Ce constat est très problématique et il nous faudra y apporter des réponses. Collectivement, nous avons sans doute des signaux forts à faire remonter par nos élus alors que nous entrons en période électorale.

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