21 août > Roman France

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Il y a des êtres qui ne sont que pulsions contraires, contrastes trop violents. Frank, le triste héros mélancolique (plus, sans doute, qu’il ne se l’avoue lui-même) d’Une matière inflammable, le nouveau roman de Marc Weitzmann, est de ceux-là. S’il est issu d’une famille brillante de juifs laïques et rive gauche, c’est par la mauvaise branche, celle d’un père animateur théâtral en province qui pourrait passer pour falot face à la figure imposante et excessive d’un grand-père arbitre à Paris des élégances intellectuelles… S’il rumine quelque rêve d’austère exigence, d’accomplissement littéraire et de tour d’ivoire (sans manquer d’arguments d’ailleurs, personnels et stylistiques, pour fomenter de tels songes), il ne les réalise d’abord que dans le cadre un peu contraint d’une collaboration avec le « Bulletin de l’entrepreneur indépendant » et « L’Usine nouvelle », ainsi qu’en se prêtant au travail de nègre pour son ami l’économiste Patrick Zimmermann, à propos d’une biographie de Jeremy Bentham, déjà plagiée d’un mémoire universitaire… Arrêtons nous là. De quoi ce Zimmerman est-il le nom pour Frank ? A tout le moins, d’un sévère effet de réel. Une exagération grotesque et pourtant enviable de lui-même. Fêté comme il se doit par les siens, « vitrifié » par le désir social, Patrick Zimmerman, son brame socio libéral, est dans la France des années 90 qui s’adonne avec délice aux joies de la morosité et de la moisissure, quelque chose comme un artefact, un produit manufacturé reproductible à grande échelle… C’est aussi, et ce n’est pas rien, le mari de Paula, l’une des plus jolies névroses de Paris, qui ne trouve d’autre remède pour se distraire un peu de ce qui la meut (Israël, la Shoah, son père, ceux qui pourraient en tenir lieu) qu’en la mondanité et l’adultère. L’un et l’autre faisant finalement plutôt les affaires de Frank… Jusqu’à ce que le temps passe, les années, et que se révèle avec eux le poids d’un truc qui pourrait être la fatigue et qu’il n’est pas interdit de nommer tragédie.

Donc, Marc Weitzmann a rechuté. Après Quand j’étais normal (Grasset, 2010), il poursuit sa réécriture de notre « roman national » par où il fuit, se délite, ne ressemble plus à grand chose d’autre qu’un grand cadavre à la renverse. Il le fait avec une sauvagerie qui ne se dément pas et s’en prend moins aux personnages (bien sûr, plane sur tout le livre le fracas de l’échec de DSK, mais en ce qu’il signe celui d’une génération peu à peu dévoyée) qu’à l’époque. Ce Frank qui peine à rentrer dans la danse et ne parvient pas à s’empêcher d’assister au bal est un héros de notre temps. Weitzmann, qui sait qu’un romancier n’est pas (qu’)un juge, le restitue, lui et les siens, dans tout l’éclat de leurs désastres. C’est très joliment fait. Ce n’est vraiment pas drôle, mais mieux vaut en rire.

Olivier Mony

Les dernières
actualités