Biennale du numérique

Le web, irrésistible unificateur du monde du livre

Les intervenants de la première table ronde de la Biennale du numérique, de gauche à droite : David Aymonin, directeur de l’Abes, Stéphane Michalon, responsable du développement d’ePagine, Ghislaine Chartron, professeur des universités, CNAM, modératrice, Emmanuelle Bermès, adjointe scientifique et technique au directeur des services et des réseaux, BnF, et Luc Audrain, responsable de la numérisation du groupe Hachette. - Photo Hervé Hugueny

Le web, irrésistible unificateur du monde du livre

A des rythmes divers, et sous des formes qui leur sont propres, tous les métiers du livre s’adaptent au web. La toile impose une convergence à un secteur dont les composantes évoluaient auparavant en plus grande autonomie.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 20.11.2019 à 21h00

« L’universalité des technologies du web en fait sa force, qui entraine tout le monde sous cette bannière » résume David Aymonin, directeur de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes), qui intervenait lors de la première journée de la Biennale du numérique, organisée à Lyon les 17 et 18 novembre par l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib).
 
La manifestation marque la volonté de créer un lieu de discussions entre les professionnels des bibliothèques, qui représentent encore la majorité des inscrits ainsi qu'une part significative des intervenants, et tous les autres gestionnaires techniques de la chaîne du livre. Le thème de cette année était assurément commun à tous : « Le web : vers une convergence des normes, formats, données ? ». Ce n’est plus une question, mais une évidence, déclinée dans les différentes tables rondes qui ont ponctué la journée.

Transition bibliographique
 
Les bibliothèques sont engagées depuis plusieurs années dans une grande « transition bibliographique », dont le but est précisément de rendre les métadonnées du livre interopérables et compatibles avec les besoins du web et de ses utilisateurs au sens le plus large, ainsi que l’a rappelé en ouverture Nathalie Marcerou-Ramel, nouvelle directrice de l’Enssib.
 
La notice bibliographique est au cœur de travail de « FRBRisation », néologisme construit à partir de la version anglaise de l’acronyme (FRBR, pour Functional Requirements for Bibliographic Records) désignant le modèle vers lequel elle doit évoluer. Cette nécessité articule des projets très différents, en partie expérimentaux comme le montre le programme data.bnf.fr, dont l’objectif est entre autres de faciliter la diffusion des métadonnées de la BNF dans les interfaces web explique Tiphaine-Cécile Foucher, adjointe à la cheffe de produit du projet.

Cette transition bibliographique est aussi le moteur de la transformation du réseau de lecture publique de Vaulx-en-Velin, autre exemple exposé par Valérie Brujas et Chryséis Bovagnet, respectivement directrice et responsable numérique des médiathèques concernées.

Normalisation des identifiants
 
Très normée, la composition de ces notices bibliographiques révèle pourtant des « balises corporatistes qui expriment les identités des différentes filières » qui les ont créées et successivement enrichies explique Philippe Bourdenet, ingénieur informaticien à l'Université du Mans. La convergence est bien réelle, mais entretient encore des particularités nécessaires à chaque filière. Cela nécessite de savoir maîtriser les relations entre ces différentes ressources, ainsi que le montrent les compétences maintenant recherchées dans les offres d’emploi du secteur.
 
Le web encourageant la production et la circulation d’une masse exponentielle de données, les identifiants pour les répertorier connaissent la même croissance, et leur normalisation est un enjeu majeur du travail bibliographique insiste David Aymonin, qui a synthétisé sa communication concernant la stratégie nationale à conduire pour ces identifiants, qu’il qualifie d’urgente. Le directeur de l’Abes recommande ainsi un effort particulier dans la création d’une communauté française autour d’ORCID, l’identifiant auteur parmi les chercheurs, afin de pouvoir intervenir dans sa gouvernance.
 
Bibliodiplomatie et interopérabilité

Cette « bibliodiplomatie » est mise en œuvre avec ténacité et détermination par une poignée de professionnels français de l’édition, très impliqués dans l’élaboration de la norme EPUB pour le livre numérique, ainsi que l’a rappelé Luc Audrain, responsable de la numérisation du groupe Hachette, et co-président du Publishing business group du W3C. Le consortium chargé de la définition des standards du web a absorbé l’IDPF, qui définissait l’EPUB, preuve de cette convergence inscrite dans les spécifications techniques du format. « Dans le livre, cette convergence est une question de contenus plus que de metadonnées » a-t-il nuancé.
 
L’interopérabilité de ces fichiers de données est techniquement possible, via le PDF ou l’EPUB, mais elle est entravée pour des raisons commerciales par une poignée de plateformes de vente qui ont verrouillé leur propre norme. Là encore, la définition d’un standard de protection ouvert (LCP, pour Licensed content protection) développée par l’EDRLab à Paris devrait permettre cette réelle interopérabilité que souhaitent éditeurs et libraires, afin d’ouvrir enfin le marché du livre numérique au-delà d’une poignée de revendeurs a insisté Stéphane Michalon, responsable du développement d’ePagine, une des composantes de la plateforme Diva, avec Bookeen.

Créativité en panne
 
La forme du livre imprimé n’est pourtant pas totalement soluble dans le web et inspire encore très fortement sa version numérique, notamment dans sa référence à la page, souligne et regrette en partie Bianca Tangaro, chargée d’édition web chez OpenEdition, auteure d’un mémoire sur le sujet. De fait, les premières explorations de créativité ont tourné court, en raison de leur coût et de leur manque de rentabilité, et pour le moment, c’est le livre homothétique du papier qui prévaut.
 
Même si sa diffusion reste encore limitée, cette digitalisation a au moins favorisé la visibilité du livre en général sur Internet profitant en retour au support papier traditionnel, et à l’investissement progressif des librairies indépendantes sur Internet. « La librairie est le lieu de la découverte, mais l’important pour les clients est aussi de trouver ce qu’ils sont venus chercher, et les outils numériques permettent aux libraires de connaître et d’anticiper cette demande » soutient Caroline Mucchielli chargée de mission « Observatoire de la librairie et numérique » au Syndicat de la Librairie Française.

Données clients et recommandations
 
Dans la concurrence absolue qui règne sur Internet, les librairies ont toutes le même catalogue en raison de l’homogénéité des données utilisées pour les constituer, et elles émergent très rarement en haut des listes des moteurs de recherche, reconnaît Thomas Le Bras, directeur du réseau et de la plateforme leslibraires.fr. Le moyen de se distinguer passe donc aussi par l’usage d’outils numériques dans la recommandation, en utilisant les données de vente connues sur les clients – c’est le système Fidelivre, développé par la plateforme.
 
Mais dans le marché numérique, le levier de vente reste la promotion rappelle Elisa Boulard, responsable de 7switch.com, pur player de la librairie en ligne, adossée au distributeur Immateriel.fr. La concurrence est rude avec la poignée de sites qui dominent le marché. Mais la librairie a réussi à créer une communauté de fidèles lecteurs autour de la SF et de la fantasy qui apprécient notamment les recommandations et choix proposés. C'est bien la preuve qu'il existe ne certaine convergence de bon sens dans les pratiques commerciales, entre magasin physique et vente à distance.
 

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