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Lectures pour tous

Le kiosque Facile à lire à la médiathèque Per-Jakez-Hélias à Landerneau. - Photo Médiathèque de Landerneau

Lectures pour tous

En Bretagne, plusieurs établissements ont adopté le "facile-à-lire", des livres destinés en priorité aux personnes en situation d’illettrisme. Regroupées et présentées sans classement, ces collections bousculent les habitudes professionnelles.

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 08.04.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 08.04.2016 à 08h34

Très courantes dans les pays d’Europe du Nord mais longtemps considérées avec un certain dédain par les professionnels français, les collections de livres faciles à lire, destinées prioritairement aux personnes en situation d’illettrisme, font leur entrée dans les bibliothèques de l’Hexagone. La Bretagne, où plusieurs actions dans ce domaine sont actuellement à l’œuvre, fait figure de pionnière en la matière.

Tout commence en 2014 quand le centre régional de coopération culturelle Livre et lecture en Bretagne se voit confier la mise en place d’actions de lutte contre l’illettrisme dans le cadre du Pacte d’avenir pour la Bretagne signé fin 2013 entre la Région et l’Etat. L’organisme décide alors d’implanter dans différents sites, comme des hôpitaux, des prisons, des bibliothèques, une sélection d’ouvrages de lecture aisée, présentés de face, sans classement, dans des meubles placés bien en vue et réalisés spécialement. Les titres sont issus d’une liste élaborée par Françoise Sarnowski, ancienne bibliothécaire aujourd’hui à la tête de Bibliopass un cabinet de formation et de conseil en accessibilité. Cette dernière, qui s’est inspirée des bibliothèques néerlandaises, passe son temps à fureter dans les librairies, mais aussi dans les rayonnages des stations-service, pour dénicher des titres correspondant aux critères du "facile-à-lire" : des récits courts, dans une langue très simple, avec une mise en page aérée, mais également des BD et des livres pratiques. La nouvelle sélection publiée récemment par Bibliopass propose une centaine de références très éclectiques.

Comme tient à le préciser Françoise Sarnowski, si le concept implique d’ouvrir sans complexe les collections à des genres tels que le roman-photo, longtemps introuvable en bibliothèque car jugé indigne d’y figurer, le facile-à-lire n’est pas pour autant synonyme de mauvaise littérature. On y trouve Danielle Steel et des feel-good books, mais aussi René Barjavel, Karen Blixen et des écrivains contemporains tels que Philippe Delerm ou Brahim Metiba. "J’étais moi-même réticente par le passé à l’idée d’acheter des romans-photos, admet Françoise Sarnowski. Maintenant, je pense que, si ça permet à des personnes d’accéder à la lecture, il ne faut pas hésiter."

 

Deux fois plus empruntés

Les bibliothèques départementales (BDP) du Finistère et de l’Ille-et-Vilaine se sont emparées du concept. Dans la seconde, il arrivait à point nommé pour répondre au travail que la BDP venait de mener avec des militants d’ATD Quart Monde qui demandaient "des livres qui nous concernent, bien visibles, faciles d’accès et non cachés au fond de la bibliothèque". Depuis, la BDP a élaboré deux kits - collections et meubles - baptisés "C’est facile de lire", prêtés pendant 4 à 6 mois dans les bibliothèques de son réseau. "Les bibliothèques construisent ensuite leur propre kit", se réjouit Catherine Lepeinteur, qui coordonne ce programme au sein de la bibliothèque départementale. La BDP 29 vient quant à elle d’installer un kiosque, baptisé "All" pour "A lire librement", dans l’entrée de son antenne de Plonévez-du-Faou, ouverte au grand public. Elle a aussi prévu de faire circuler dans son réseau une dizaine de mallettes contenant deux cents références, et envisage d’implanter des kiosques dans différents endroits tels que des supérettes ou des salons de coiffure.

A Landerneau, l’équipe de la bibliothèque municipale a créé un kiosque Facile à lire en septembre 2014 à la suite d’une brutale prise de conscience : quelques mois plus tôt, la médiathèque avait organisé une série d’ateliers pour un groupe de personnes en situation d’illettrisme dans le cadre d’une résidence avec l’écrivaine Frédérique Niobey. Après s’être tenue dans différents lieux familiers de ce public, la dernière session était prévue dans les locaux de la bibliothèque. Or, aucun participant n’a fait le déplacement. "Cela a été le choc, se souvient Hélène Fouéré, directrice de l’établissement. On a pris conscience que la bibliothèque est un lieu encore trop intimidant pour ces personnes."

Depuis, le kiosque trône sans complexe au cœur de la bibliothèque, orné du logo européen Facile à lire. "On s’est demandé si ce ne serait pas stigmatisant, mais en fait ça permet aux gens d’être autonomes dans la bibliothèque, poursuit la directrice. Ces livres sont deux fois plus empruntés que les autres, et pas seulement par les apprenants." La médiathèque a aussi installé deux kiosques hors les murs, dans la Maison pour tous et dans l’épicerie sociale. Un choix important, car le travail avec les partenaires sociaux, et avec les publics eux-mêmes, est indispensable. La BDP 29, par exemple, a prévu d’associer les personnes éloignées de la lecture aux choix d’acquisition.

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