Reportage

Sur la vague de l'édition coréenne

La foule au SIBF 2025, en Corée du Sud - Photo Judith Oriol

Sur la vague de l'édition coréenne

La France était présente à la Seoul International Book Fair qui s'est déroulée, à guichets fermés, du 18 au 22 juin : un stand français, des professionnels de Casterman, Gallimard, Glénat, Hachette Livre, et la romancière Lilia Hassaine. Livres Hebdo a pu suivre la délégation française et prendre le pouls d'un marché sud-coréen stable grâce à sa loi sur le prix unique du livre adoptée en 2003. Journal de bord à Séoul, épicentre de la K culture.

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Par Judith Oriol
Créé le 19.08.2025 à 17h45

Mardi 17 juin

Après un vol de nuit et avant l'ouverture de la Seoul International Book Fair (SIBF), nous arpentons les rues de Séoul, de Gangnam à Insa-dong, pour prendre la température. Partout, d'immenses panneaux publicitaires sur lesquels le président de centre gauche récemment élu, Lee Jae-myung, affiche un air déterminé, comme résolu à indiquer aux Sud-Coréens que la période d'instabilité politique ayant conduit à la destitution du président Yoon Suk-yeol (après qu'il a tenté d'imposer la loi martiale en décembre dernier) est derrière eux.

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corée du sud SIBF- Photo JUDITH ORIOL

Les professionnels du livre rencontrés dès le lendemain se diront tous dans l'attente d'un dialogue renoué avec le nouveau gouvernement - celui de l'homme sur la photo - après des tensions avec l'équipe sortante au sujet de la suspension de certaines subventions publiques pour la filière, notamment pour l'organisation de ladite SIBF.

Mercredi 18 juin

Avant son ouverture, des files de jeunes gens se forment devant l'entrée de la foire. Et autour, des âmes en peine errent dans le Coex, le mall et centre d'exposition accueillant l'événement, à la recherche de tickets alors que les organisateurs en ont stoppé la vente.

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Le stand français au SIBF 2025- Photo JUDITH ORIOL

Nous découvrons le stand français, très visible aux côtés du pavillon de Taïwan, invité d'honneur. Nous saluons les libraires, les éditeurs français ayant fait le déplacement, l'équipe de France Livre et celle de l'ambassade de France en République de Corée au complet. Deux vacataires francophones ont même été recrutés en renfort. L'un d'eux, Kim Ji-hoon, est un jeune étudiant ravi d'avoir rejoint pour l'occasion le service « Livre et combat d'idées » ! Oui, le débat peut aussi prendre une forme combattive.

Plus tard, la journaliste et romancière Lilia Hassaine arrivera pour présenter l'édition coréenne de son roman Panorama. Nous assistons à une table ronde sur les enjeux de l'édition en Corée du Sud, en France, au Vietnam et au Cambodge à laquelle participe Nicolas Roche, directeur de France Livre. La dernière question que lui pose le modérateur, Sooncheol Richard Hong, critique spécialisé dans l'édition et président de l'Agence BC, en dit long sur l'image de la France au pays du Matin calme : « Pourquoi la littérature française est-elle si difficile d'accès ? » Alors que la Corée du Sud reste le deuxième acheteur de droits de livres français en Asie, après la Chine, avec 547 cessions de droits en 2024 (contre 532 en 2023), selon le dernier rapport statistique du Syndicat national de l'édition (SNE).

Jeudi 19 juin

Nous flânons à la recherche de livres français en coréen et trouvons les belles éditions de Retour à Reims de Didier Eribon ou de Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea, prix Goncourt 2023, déjà traduit. Puis, une photo d'Albert Camus, bien entouré de Virginia Woolf et Hermann Hesse.

Sur le stand français, un espace a été confié à Chaekbang, une librairie jeunesse qui ne vend que des livres en français. Au détour d'une conversation sur le livre jeunesse en Corée du Sud avec sa fondatrice Lee Seula, nous apprenons avec étonnement qu'elle a quatre enfants. En 2024, le taux de fécondité en Corée du Sud était de 0,75 enfant par femme, alors que le gouvernement multiplie les initiatives pour booster la natalité (« Make more babies ! »), Lee Seula nous explique ensuite qu'à l'école de ses enfants, chaque journée commence par un quart d'heure de lecture. Les élèves sont priés d'arriver à 8 h 45 pour un début des cours à 9 heures, avec un livre dans le cartable, pour lire au calme avant de commencer la journée... Nous demandons : « Publique, l'école ? » Oui, publique.

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Albert Camus, Virginia Woolf et Hermann Hesse en coréen- Photo JUDITH ORIOL

Plus tard, nous avons du mal à nous approcher du stand de la libraire indépendante Pyeongsan Books, prise d'assaut par une foule compacte qui se tortille pour en apercevoir le propriétaire. À la retraite, l'ancien président Moon Jae-in a ouvert cette librairie à côté de chez lui, dans le sud du pays, pour se consacrer à la littérature. Lui qui a marqué les esprits lors de sa rencontre historique avec Kim Jong-un en 2018 - une première avec un dirigeant nord-coréen depuis la guerre de Corée - officie là, derrière le comptoir de son modeste stand, en petit tablier de circonstance. De la prescription littéraire au sommet !

Puis, nous nous perdons dans le dédale du Coex, à la recherche du fameux Rights Center que nous finissons par trouver, relégué à l'étage. Mais sur nos pas, ce qui a été facile à trouver, c'est l'exposition Métavers (MVEX), plus grand sommet d'Asie sur le sujet, des technologies de la réalité étendue, aux réalités virtuelles et augmentées, en passant par l'IA et le Web3. Comme pour nous rappeler qu'un monde virtuel nous guette, et qu'il est même déjà au-dessus de nos têtes.

Samedi 21 juin

Pour notre dernier tour de piste, nous nous essayons au nunchi, ce concept coréen présenté comme rien de moins que la clé du bonheur. Yohann Le Tallec, attaché culturel à Séoul, avait tenté de définir pour nous cette intelligence émotionnelle qui guide toute interaction sociale et professionnelle en Corée du Sud : « Le nunchi, c'est lire les autres sans qu'ils aient à s'expliquer. »

Nous nous arrêtons sur le stand des éditions Les mots pour y discuter avec son fondateur, Yoon Seok-heon, qui publie exclusivement des livres français en traduction : Françoise Sagan, Annie Ernaux, Patrick Modiano ou Delphine de Vigan. Quand nous lui demandons s'il a nommé sa maison d'édition en hommage à Sartre, il répond : « Non ! C'est une référence au titre de la biographie de Georges Perec par David Bellos, Une vie dans les mots, parce que j'ai autrefois entrepris, à Paris, une thèse sur le vide chez Perec. » C'est sans doute ce qui s'appelle manquer de nunchi, mais ce qui nous a rendus heureux, nous, c'est d'avoir trouvé un oulipien coréen. 

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