Chronique Juridique

 

Première partie

Deuxième partie 

 

La publicité de l’ouvrage        

Selon la jurisprudence la plus récente, si aucune forme de publicité n’est prévue dans le contrat, l’éditeur doit procéder à une publicité conforme au type de l’ouvrage, c’est-à-dire, au minimum, à l’envoi de services de presse et à l’insertion du titre dans son catalogue. Il a été jugé que l’éditeur peut cependant arrêter une campagne de publicité inutile et trop coûteuse.

Une célèbre affaire, ayant opposé dans les années 50 Montherlant à Grasset, permet de mesurer ce qu’attendent les tribunaux des éditeurs : en l’occurrence, ils s’étaient penchés sur les tirages de départ, les réimpressions, l’état des stocks et des ventes, les avaient comparés avec ceux pratiqués par d’autres éditeurs, et avaient étendu ces comparaisons à la publicité et à la promotion auprès des libraires et de la presse.

Pour Grasset, les procès successifs qu’il subit vont ressembler à un « drame de Balzac ». Dans un premier jugement rendu par le Tribunal de la Seine le 18 décembre 1950, la résiliation des divers contrats liant auteur et éditeur est prononcée « aux torts respectifs », avec expertise pour établir un compte financier entre les parties. Ce jugement fit dire à Grasset : « (…) nous eûmes la malchance que le juge confondit contrat d’édition et contrat de mariage, et prononça tout bonnement les torts réciproques sans résoudre la question qui lui était posée. »

Le 7 novembre 1951, une nouvelle décision de justice nomme trois experts afin d’estimer les tirages des livres édités par Grasset, les ouvrages épuisés, et le chiffre évalué des préjudices subis par l’auteur. Les juges doivent également statuer sur trois questions concernant les vingt-deux titres de Montherlant édités chez Grasset : l’ouvrage se trouve-t-il épuisé ? Le refus par l’éditeur de réimprimer peut-il être prouvé ? La sommation d’avoir à réimprimer cet ouvrage a-t-elle été faite à l’éditeur dans les conditions prescrites ?

Les tirages de Montherlant sont très satisfaisants, et bien plus qu’honorables, ce qui fait disparaître l’argument d’une désaffection du public pour l’auteur : Les Bestiaires se sont vendus à 23350 exemplaires, de 1928 à 1937. Les Célibataires ont trouvé, au moins, 40961 acheteurs, de 1934 à 1941, et Le Démon du bien  32444, tandis que Les Lépreuses se vendent à 30116 exemplaires. Mais le plus grand succès est pour le premier tome de Les Jeunes Filles : il s’en vend 73300 entre 1936 et 1940.

Les experts donnent leurs chiffres, ce qui permet aux magistrats de rendre leur décision définitive. Ils répondent par l’affirmative aux trois questions, et condamnent les Éditions Grasset au paiement des sommes dues à Montherlant, soit 912 213 francs, à 400 000 francs de dommages et intérêts, à la résiliation de tous les contrats, et aux dépens.

Bernard Grasset sort de cette affaire très las de la justice et des hommes. Montherlant rejoint la maison Gallimard avec armes et bagages.

Ce procès d’un auteur contre son éditeur inspire à Grasset son testament spirituel sous la forme d’un livre, Évangile de l’édition selon Péguy, qu’il rédige entre février et octobre 1954. Montherlant est cité toutes les cinq pages et la moitié de l’ouvrage est consacrée au procès comme à la décision du 8 juillet 1953.

Mais surtout, s’appuyant sur l’exemple des Cahiers de la Quinzaine édités par Péguy au début du XXème  siècle, Grasset s’efforce de dégager les leçons de la condamnation : pour lui, c’est « la fin d’un métier ». Il vient d’abandonner à Hachette, en octobre 1954, pour des problèmes de trésorerie, les neuf dixièmes de sa maison d’édition. C’est le début de l’ère de la grande distribution et des concentrations de pouvoir.

« L’ère des grands dévouements d’éditeurs est close, écrit Grasset dans son Évangile. Nul, après votre arrêt, monsieur le juge, ne s’entêtera dans cette gageure qu’est un risque personnel, accepté tout le long d’une vie, pour mettre le talent à l’abri de tout risque. »

 

 

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