Avant-critique Roman

Léo Henry, "Héctor" (Rivages)

Léo Henry - Photo © Frédérique Clément

Léo Henry, "Héctor" (Rivages)

Léo Henry enquête sur Héctor Oesterheld, scénariste de la BD culte argentine L'éternaute, disparu sous la dictature comme tant de victimes de la « guerre sale ».

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Par Sean Rose
Créé le 31.01.2023 à 14h00 ,
Mis à jour le 31.01.2023 à 19h10

Où est Oesterheld ? Une neige phosphorescente tombe sur Buenos Aires. Elle tue quiconque ne se prémunit pas contre elle. « Les flocons de la mort s'étaient glissés sous la porte. Toute la famille était certainement morte », constate Juan Salvo, le héros de L'éternaute, en combinaison de protection chimique lorsqu'il découvre ce foyer voisin décimé. Le paysage urbain qu'il va arpenter au fil des cases n'est que de désolation. Les premières vignettes de la bande dessinée culte argentine paraissent en 1957 dans l'hebdomadaire Hora Cero. L'odyssée apocalyptique est signée Héctor Germán Oesterheld, les dessins en noir et blanc sont de Francisco Solano López. L'atmosphère de paranoïa et d'épouvante s'épaissit à partir de 1969, année où Oesterheld, pour un deuxième cycle des aventures du piéton de l'éternité, s'associe au crayon d'Alberto Breccia. La dystopie est une référence à peine voilée au contexte politique réel qui aboutira à la dictature en 1976. Le scénariste de BD et homme de presse est un militant montonero. Les Montoneros sont un mouvement péroniste, proche de Che Guevara et des prêtres tiers-mondistes, et prônant la lutte armée. Ils sont l'ennemi public numéro un du régime. En 1977, Oesterheld disparaît ainsi que ses filles, ses gendres... Enlevés, liquidés sans traces, ils comptent parmi les desaparecidos d'une guerre sans nom et faite au nom du « Processus de réorganisation nationale mis en place par le général Jorge Rafael Videla [...], l'intitulé administratif d'une dictature nationale-catholique et d'une guerre civile, une guerre sale jamais déclarée, durant laquelle des garages automobiles, des centres sportifs, des caves d'immeubles deviendront des centres de détention et de torture, et qui verra disparaître des dizaines de milliers d'opposants, poussés dans la clandestinité et dont les corps seront jetés par avions entiers dans le Rio de la Plata. »

Léo Henry part pour Buenos Aires mener l'enquête. Héctor est un récit dédaléen qui tient d'un jeu de piste dont on n'aurait pas forcément tous les indices. Qu'importe. Où manquent les pièces du puzzle, l'auteur de fantasy et de science-fiction français complète. Dialogues imaginaires, séquences subjectives de L'éternaute, intrigues jamais dessinées... Le drame national s'ourdit avec les fils du destin de la famille Oesterheld, le vieil Héctor, ses quatre filles militantes elles aussi, son épouse Elsa qui répète comme une antienne « Comment en est-on arrivé là ? » Les spectres de Borges, antipéroniste virulent, et d'Hugo Pratt, auquel Oesterheld avait fourni des scénarios lors du séjour argentin du futur auteur de Corto Maltese, reviennent hanter ce texte, bel antidote à la neige létale de l'oubli.

Léo Henry
Héctor
Rivages
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 208 p.
ISBN: 9782743658397

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