Ces deux geeks se réfugiaient, ados, dans le CDI de leur collège, apprenant même à la documentaliste à jouer à Magic the Gathering. À 18 ans, Quentin enchaîne les petits boulots, et tant qu’à réaliser des inventaires (la nuit, à 4h du matin, en supermarché), autant le faire dans un environnement qu’il adore : les bibliothèques. Julien, lui, doit aussi arrêter ses études (d’histoire) pour travailler puis réussir lui aussi le concours de bibliothécaire, mettant cela sur le coup de la « chance ». « J’aimais bien lire, justifie-t-il. Puis j’ai découvert les bonnes raisons d’être bibliothécaire : son rôle social, animateur de la vie d’un quartier. »
Espace de controverse
Les deux se rencontrent dans une bibliothèque de quartier « où l’on prenait le temps de penser notre métier, de partager nos idées, d’avoir un espace de controverse, ce qui n’est pas le cas partout », reprend Quentin, dans une distribution équilibrée de la parole. Et en 2022, ils décident de rendre ces réflexions collectives, en tenant à faire entendre leur « parole du bas » à travers un podcast où la voix crée un sentiment de proximité avec les auditeurs leur livrant leurs témoignages.
« Des collègues viennent nous raconter leurs histoires d’horreur professionnelles, ils n’ont nulle part ailleurs où vider leur sac », frémit le duo qui relaie ces récits sans jamais citer le lieu d’où ils viennent.
Ils retiennent leur philosophie, y ajoutent leur propre expérience anonymisée, invitent d’autres professionnels à leur micro (« pour ne pas rester entre mecs trentenaires blancs ») et s’appuient sur de la littérature scientifique. Le tout arrosé de blagues. Comme une discussion intello, indignée et amusée sur leur canapé. Jouant parfois la provoc’, en accord avec leur nom de scène : « deux connards dans un bibliobus ».
Quelles limites au pluralisme d'idées ?
Le premier épisode, sorti en juin 2022, donne le ton. « Peut-on être de droite et bibliothécaire ? » « On n’invite pas à voter pour telle ou telle personne, mais donnons une limite claire au fascisme », rappellent-ils. Un sujet qu’ils remettent sur la table lors du Congrès de l’ABF. « Les bibliothécaires sont d’accord pour dire que “le racisme, c’est pas bien”. Mais quand on propose Tintin au Congo dans nos rayonnages, crée-t-on de la répression ? » À quoi ont réagi des bibliothécaires du public, dans une salle divisée : « Il est dangereux de retirer des ouvrages qui ne correspondent pas à nos idées personnelles », avance l’une. Et une autre : « Une personne d’extrême droite est la bienvenue dans ma bibliothèque ».
À ce malaise de la profession se superpose la remise en cause de la légitimité du duo. « On a un énorme complexe de l’imposteur, on a l’impression de ne pas avoir les bons codes. Est-on en train d’attaquer des collègues, desservir le propos qu’on veut porter ? », s’interroge Julien. Abondé par son compère : « Une conservatrice de bibliothèque nous répond, et moi j’ai qu’un bac pro ! ».
Mais n’ont-ils pas acquis leur légitimité à travers ce podcast documenté et suivi ? « On a eu énormément de chances d’en arriver là, on a réussi à atteindre cet espace de parole et c’est important de l’investir. Beaucoup de personnes ont la légitimité de parler mais pas d’espace pour s’exprimer. » La parole leur est donnée.