Alors que la concertation entre les acteurs de l'IA et les ayants droit culturels touche à sa fin, la ministre de la Culture Rachida Dati appelle à un dernier sursaut.
Lancé le 2 juin à l'initiative du ministère de la Culture et de la ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique, ce cycle de rencontres ouvert jusqu'en novembre implique 15 représentants des développeurs de modèles d'IA générative et 17 représentants d'ayants droit des filières de la culture et des médias. Une liste d'invités dont le détail n'est pas communiqué par le ministère.
L'exception TDM en question
Les échanges devaient notamment permettre le rapprochement entre ces acteurs afin de « favoriser une meilleure valorisation des données culturelles », et d'identifier les forces et faiblesses des différentes modalités de rémunération et de contractualisation des données culturelles pour l’IA.
« J'en appelle à la bonne foi de tous pour que les discussions favorisent les démarches de contractualisation. Une interprétation excessive de l’exception de fouille de données ne saurait devenir un paravent pour éviter le partage équitable de la valeur », a prévenu Rachida Dati lors d'un discours au dernier MaMA, le marché des musiques actuelles qui se tient à Paris et dresse un panorama des enjeux de la filière musicale, largement impactée par l'IA.
Pour rappel, l'exception au droit d'auteur au titre de la fouille de textes et de données (TDM, pour text and data mining) est introduite par la directive européenne du 17 avril 2019 sur les droits d’auteur et les droits voisins. Plusieurs acteurs des filières culturelles accusent les géants de l'IA de se cacher derrière cette exception, et de ne pas en respecter les conditions.
Échanges bilatéraux
« Dans le cas où les démarches de contractualisation ne seraient pas concluantes d’ici la fin de la concertation, je prendrai mes responsabilités pour faire respecter le droit d’auteur, qui est le socle de notre exception culturelle et un pilier essentiel de notre souveraineté numérique et créative », a encore affirmé Rachida Dati.
Le Syndicat national de l'édition (SNE), qui a participé aux concertations, considère que « ce dialogue n'est peut-être pas allé aussi loin qu'on pouvait l'espérer mais qu'il a le mérite d'être établi alors qu'il n'existait pas avant », selon les mots de Renaud Lefebvre, son directeur général. « Par ailleurs, il peut se prolonger. Nous avons pris l'initiative de contacter tous les participants représentant des IA pour leur proposer des échanges bilatéraux : quatre d'entre eux ont accepté », poursuit-il.
Inversion de la charge de la preuve
Dans son intervention du 16 octobre, Rachida Dati a par ailleurs rappelé que les rapports du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et du Parlement sur le sujet avaient proposé des outils contraignants qu'elle n'exclut pas d'explorer.
En cas d'échec de cette concertation à trouver des solutions, la mission d'information du Sénat relative à l'intelligence artificielle et à la création propose en effet, dans son rapport publié le 9 juillet, de déposer une proposition de loi visant à mettre en œuvre une présomption d'utilisation des contenus culturels par les fournisseurs d'IA. Concrètement, le fournisseur d'IA aurait alors le choix entre accepter cette présomption, et donc reconnaître qu'il a été amené à utiliser ces contenus, ou bien apporter la preuve inverse.
À cet égard, Rachida Dati s'est déclarée prête, « s'il faut en arriver là », « à étudier avec le Parlement la piste de l’inversion de la charge de la preuve évoquée dans le rapport Création et IA ». Si cette deuxième option venait à échouer, la mission sénatoriale propose en dernier recours la mise en place d’une taxation du chiffre d’affaires réalisé en France par les fournisseurs et déployeurs d’IA, afin de compenser le secteur culturel.
Refus d'achat
Si le SNE entend « laisser sa chance » et « un peu plus de temps » à cette concertation, Renaud Lefebvre observe toute de même « un gouffre » entre la manière dont les opérateurs de l'IA voient les choses et les enjeux que les ayants droit défendent.
« Concrètement, l'enjeu pour eux est de pouvoir utiliser de la manière la plus libre et la plus massive possible des œuvres, quels qu'en soient l'origine et le statut, tandis que pour nous, tout ceci ne peut se faire que dans le respect strict du droit, de l'expression de la volonté des titulaires de droits de voir leurs œuvres utilisées pour l'entraînement des IA et, dans le cas où ils y consentiraient, de pouvoir compter sur un dispositif de rémunération équitable », résume Renaud Lefebvre, regrettant « le refus d'achat » manifesté par nombre d'opérateurs.
Les réunions auront toutefois permis à chaque bord de mieux cerner le fonctionnement et les attentes de l'autre, estime le SNE. « De notre côté, on prend davantage conscience du fait qu'il faut assez nettement différencier les phases d'entraînement qui utilisent des quantités considérables de données pour élaborer les modèles de base, de l'inférence ou du RAG (génération augmentée de récupération, ndlr) qui relèvent de logiques complètement différentes en termes de valeur délivrée in fine par les opérateurs de l'IA et de contribution à la valeur des œuvres utilisées », détaille Renaud Lefebvre.
« Réparer le préjudice »
À terme, le SNE souhaite aboutir à « un cadre général et collectif dans lequel on puisse satisfaire, sur une base volontaire, les demandes d'utilisation en masse de très grands volumes de données, avec des coûts de transaction raisonnables », tout en concluant des « accords circonstanciés de gré à gré en fonction de la nature des œuvres utilisées, des contextes d'utilisation, et des revenus générés ». À défaut d'accord, le SNE l'assure : cela se réglera devant le juge.
Non conviée à la concertation, la Ligue des auteurs professionnels estime pour sa part qu'il est prématuré d'envisager la création d'un marché. « Il faut commencer par indemniser les ayants droit, réparer le préjudice subi du fait de ces modèles d'intelligence artificielle qui se sont gavés en toute impunité de toutes les données protégées au titre du droit d'auteur, et de façon complètement illicite », souligne Stéphanie Le Cam, directrice de la Ligue des auteurs professionnels.
L'organisation en appelle par ailleurs à clarifier le droit. « On a une exception TDM qui aurait un garde-fou, l'opt-out, or celui-ci ne fonctionne pas, il n'est pas respecté », remarque Stéphanie Le Cam, regrettant que le syndicat n'ait pas été convié aux échanges.
