Certains ministres de la culture ont marqué leur empreinte par des constructions, peut-être Frédéric   Mitterrand restera-t-il dans l'histoire des politiques culturelles comme celui d'une approche nouvelle.   Nous avions souligné l'audace de ce discours ( voir blog précédent ) que le ministre semble vouloir traduire en une politique ( voir article du Monde ). Pour une multitude de raisons, les bibliothèques sont bien placées pour prendre ce virage de la culture pour tous à la culture pour chacun. Depuis plus de 30 ans, le territoire national s'est progressivement recouvert d'un tissu assez dense de bibliothèques. S'il reste encore des établissements à construire, c'est l'équipement le plus proche de tous les habitants. Selon l'enquête Pratiques culturelles des Français de 1997 (la question n'a pas été reproduite en 2008), 62% des personnes interrogées déclaraient pouvoir se rendre en moins d'1/4 d'heure à une bibliothèque alors que 39% faisaient état de ce temps pour se rendre à une salle de cinéma et 36% à une salle de spectacle. La proximité géographique est une condition de la culture pour chacun. Les bibliothèques et médiathèques sont encyclopédiques et couvrent un large spectre des formes d'expression culturelle. Alors qu'un opéra aura du mal à s'adresser au public qui ne s'y est jamais rendu (77% de la population en 2008), les bibliothèques proposent une palette de supports et de domaines d'intérêt à même de rencontrer les jardins personnels (secrets ou non) que les individus souhaitent cultiver. Parce qu'elles sont le lieu de la diffusion plutôt que de la création culturelle, les bibliothèques sont particulièrement bien placées pour être à l'écoute des demandes des individus. Ceux-ci savent les films qu'ils veulent regarder, les livres qu'ils souhaitent lire, les jeux-vidéos qu'ils souhaiteraient découvrir, etc. Alors que la création relève principalement d'une logique de l'offre, la diffusion peut s'ouvrir à une logique de satisfaction de la demande de chacun. Précisons que satisfaire la demande ne signifie pas la disparition de toute offre. L'accent mis sur la culture de chacun provient du constat selon lequel la politique d'offre conduit surtout à la satisfaction de la demande de quelques uns. La demande de l'offre est une demande mais elle n'est simplement plus seule. Par ailleurs, satisfaire la demande revient aussi à prendre acte de l'hétérogénéité des pratiques culturelles individuelles. Comme l'a montré Bernard Lahire, ceux qui demandent de l'offre apprécient des références qui relèvent d'une logique de la demande. Si donc la bibliothèque est particulièrement bien placée pour entrer dans une nouvelle politique culturelle de la culture pour chacun, qu'est-ce que la bibliothèque pour chacun ? La réponse à cette question nécessiterait un développement conséquent sur la définition de l'individu. Il ne s'agit plus du citoyen ou de l'individu abstrait inspiré par la Raison. Il s'agit de l'individu concret tel qu'il se pense en tant qu'individu autonome. La question devient alors en quoi la bibliothèque s'adresse-t-elle (ou pourrait-elle s'adresser) à lui ? Un vaste champ de recherche s'ouvre que l'on peut illustrer par plusieurs thématiques : -       Le choix souverain : l'individu concret revendique sa souveraineté dans ses choix, en quoi la bibliothèque est-elle en mesure de les satisfaire ? -       La reconnaissance : si l'individu concret aspire à une autonomie dans ses choix (le temps de la prescription est révolu), il ne dédaigne pas que les autres les écoutent et les partagent. Comment la bibliothèque contribue-t-elle (ou pourrait-elle contribuer) à cette reconnaissance à même de réduire cet écart trop grand entre les élites culturelles et les citoyens ? -       la réversibilité : la demande de choix de nos contemporains s'accompagnent d'une revendication de pouvoir renoncer à des choix antérieurs. Dans le cadre conjugal, ils choisissent leur conjoint   mais souhaitent aussi pouvoir s'en séparer sans trop de contraintes. Comment la bibliothèque participe-t-elle (ou pourrait-elle participer) à cette réversibilité ou cette souplesse dans les choix culturels de chacun ? -       Danser, manger, boire : l'individu concret a un corps, quelle place la bibliothèque lui accorde-t-il ? Parce que le discours de la culture pour chacun entre en cohérence profonde avec la manière dont notre société (et ses membres) définit les individus, il vaut la peine de repenser pleinement le rapport des bibliothèques à la population qu'elles desservent. La promotion de la culture pour tous n'est pas à ranger dans le rayon des antiquités mais l'adhésion à ce discours passe aujourd'hui par la défense de la culture pour chacun. Dans ce cadre, il serait judicieux que toutes les institutions en lien avec les bibliothèques accordent une place centrale à cette réflexion.      
15.10 2013

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