2 mai > BD France > Jean Dytar

Il l’a montré dès ses deux premiers albums, chez Delcourt, Le sourire des marionnettes, dont l’action se situe dans la Perse du XIe siècle (2009), et La vision de Bacchus, qui s’intéresse aux peintres de la Renaissance vénitienne (2014): Jean Dytar est un dessinateur scrupuleux. Pour Florida, qui restitue le catastrophique bilan d’expéditions françaises en Floride dans les années 1560, dans le contexte dramatique des guerres de Religion, le professeur d’art plastique à Lyon s’est une nouvelle fois précisément documenté. Et son ouvrage de quelque 250 pages, découpé au cordeau, est bâti sur un assemblage méticuleux de séquences qui, accrochées à un fil conducteur situé dans le Londres des années 1570-1590, ménage des flash-back dans la jungle moite de Floride, traités dans des verts crus, qui tranchent avec les tons étouffés des beiges et des bruns dominant le reste de l’album.

Au centre de l’histoire, la figure de Jacques Le Moyne de Morgues (1533-1588), cartographe et illustrateur protestant né à Dieppe et réfugié à Londres avec sa famille pour échapper aux persécutions catholiques. On le découvre d’un naturel taciturne. Dans la petite maison qu’il occupe avec son épouse, Eléonore, et leurs deux filles, il reste quasi muré dans le silence. Il s’est replié sur une activité d’illustrateur sans grande originalité depuis qu’il est revenu de son expédition en Floride, comme cartographe aux côtés de René de Goulaine de Laudonnière et de Jean Ribault. Les efforts de ses amis pour le convaincre de participer à une nouvelle expédition, anglaise cette fois, tournent court. Même Eléonore, qui a longtemps rêvé de Floride et l’avait encouragé à partir avant leur mariage, éprouve toutes les peines du monde à lui faire raconter une expérience qui l’a traumatisé. Que s’est-il donc passé sur ce territoire du Nouveau Monde, déjà largement occupé par des tribus indiennes rivales et pourtant disputé par les Espagnols, les Français et les Anglais?

Jacques Le Moyne va le raconter sans fard. Mais Jean Dytar ne cantonne pas son propos au triste bilan d’une expédition coloniale désastreuse. Il dresse à la faveur du récit historique une cartographie des sentiments qui traversent des personnages éprouvés par les expériences violentes, les souffrances prolongées, les rêves et les espoirs déçus. Sous les dehors d’une fresque retraçant un épisode méconnu de l’histoire, le dessinateur livre en images une forme de traité de psychologie d’une extrême densité.

Fabrice Piault

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