Si j’en crois Mohammed Aïssaoui (et je n’ai aucune raison de ne pas le croire), un membre éminent du jury Renaudot témoignait avec passion, il y a peu, sa volonté de « niquer le Goncourt » ( Le Figaro , 1-2 novembre). Aïssaoui rapporte le propos avec quelque consternation, et on le comprend. Les écrivains pourraient peut-être laisser ce genre de langage aux politiques. Puis, dans un second temps, je l’ai pris en pitié, ce cher confrère inconnu. Niquer le Goncourt !... S’il n’a pas d’autre perspective pour s’amuser dans la vie, le pauvre, il est à plaindre. Nous valons ce que nos passions valent.   ***   J’ignorais que François Mauriac se fût intéressé à la télévision. C’est ce que nous rappellent les éditions Bartillat (*) en rassemblant près de 200 chroniques de la « T.V. » comme, il dit, publiées pendant cinq ans, dans L’Express puis dans Le Figaro , par l’académicien et lauréat du prix Nobel de littérature. JJSS avait offert « le poste », et l’on sent l’écrivain passionné comme un gosse par ce nouveau joujou. Il s’intéresse à tout : aux « dramatiques » tirées d’œuvres littéraires, aux retransmissions de théâtre ou de concerts, à Cinq colonnes à la une , à Lectures pour tous (soit dit en passant, cette télé de papa semblait quand même d’un assez bon niveau) ; mais aussi aux Cinq dernières minutes , et même à Intervilles , et même à Bonne nuit les petits ! Le personnage qu’il préfère, c’est l’ours. Eh oui. Mauriac aimait bien Nounours ! Limites de l’exercice : souvent, il parle davantage de ce qu’il a vu que du médium lui-même. Du contenu, plus que du contenant. Or nous savons maintenant que le message, c’est le média, et que ce qui mérite l’attention, à la télévision, c’est la télévision. Mauriac le sent, cependant, même s’il ne le dit pas toujours clairement. C’est parce qu’il n’a pas de jugement préconçu et s’identifie au spectateur moyen. Ainsi s’émerveille-t-il d’une émission qui préfigure les bons sentiments les plus répugnants de la télé d’aujourd’hui : « J’ai eu la chance de voir pleurer cette jeune fille, Monique, qui est seule au monde et qui rêvait de finir l’année en famille. Plus de dix-neuf mille coups de téléphone en quelques minutes lui ont prouvé qu’elle pouvait être aimée… » Alors, dupé, Mauriac ? Pas sûr. Le chrétien pessimiste relève un sourcil : « Les gens ne sont jamais bons très longtemps. » Tout compris, Mauriac. Peut-être ne sait-il pas trop ce qu’il deviné, mais il a deviné. Ce qui le fascine est la force du direct, de l’image imprévisible, qu’il s’agisse des obsèques de Kennedy ou simplement du visage en gros plan d’un virtuose qui joue, d’un écrivain qui évoque son œuvre. Il ne peut pas savoir, mais il pressent que la télé fondera son empire sur « l’émotion ». Et sur les jeux du cirque : il campe un ministre, en l’occurrence Joseph Fontanet, rudement mis en cause en direct sur la politique du gouvernement en matière d’hôpitaux. (Ah, tiens, ça se faisait déjà, dans cette télé gaullienne qu’on nous dit caporalisée ?) Il écrit en juin 1963 : « Nous avons compris (mais combien sommes-nous parmi les intellectuels, les artistes, les « penseurs » de tout poil ?) ce que le peuple a compris, lui, dès le premier jour : que la T.V. est appelée à tout envahir, sinon à tout recouvrir, sinon à tout dévorer. » Il faut se souvenir que c’est un écrivain de 75 ans qui s’était lancé dans l’exercice, toutes antennes dehors, par plaisir, par curiosité, par appétit du monde. Mauriac était jeune, on ne le dira jamais assez !   ***   Ce que je reprochais la semaine dernière à Jean Bothorel ne lui est pas propre, rendons-lui cette justice. J’écoute sur Causeur une conversation entre Pierre Assouline, Didier Jacob, David Abiker et Elisabeth Lévy à propos de l’actualité des livres. De quoi parlent-ils ? Du BHL/Houellebecq. Entendons-nous bien : tous les quatre semblent s’accorder à trouver ce produit d’édition tout à fait dénué d’intérêt. Mais ils en parlent. Et puis quand même, sur la fin, Assouline parvient à placer deux phrases sur le nouveau livre de Jacqueline de Romilly, consacré à la langue grecque. Ouf ! On saura au moins quoi lire. Mais enfin, Mesdames et Messieurs les commentateurs, n’auriez-vous pas pu inverser les proportions ? Nous parler du bon livre utile, et pas de la merdouille ? Ce serait aussi simple que cela…   *** (*) « On n’est jamais sûr de rien avec la télévision » , 652 pages, 25 euros. Les excellentes préface et postface de Jean Touzot et Merryl Moneghetti, ainsi que les notes en bas de page, fournissent tous les éclaircissements nécessaires pour savourer.  

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