A la lecture du titre, vous vous poserez forcément la question : qu’est-ce qu’un concept nomade ? Si on vous répond : un concept qui passe, cela ne vous semblera pas suffisant. D’autant que ces curieux concepts s’appliquent aux sciences humaines, pas aux migrants. Dans son introduction, Olivier Christin (université de Neuchâtel, Ecole pratique des hautes études) lève le voile. Un concept nomade en sciences humaines est un concept qui voyage parmi les chercheurs, les cultures, les nations, et qui change de sens au gré de ses pérégrinations. "Parlons-nous au fond bien tous de la même chose entre pays européens et entre spécialistes venus de différentes disciplines lorsque nous parlons, par exemple, de chômage et de travail, de laïcité, de frontière ou de confession ?" La réponse évidemment est négative. D’où la nécessité de circonscrire ces concepts nomades pour mieux en saisir la richesse et la subtilité. Une vingtaine d’exemples nous sont donnés dans ce deuxième tome qui s’ouvre davantage que le premier, paru en 2010 chez le même éditeur, au champ politique. "Il sera donc ici question, précise Olivier Christin, de citoyenneté et de civilisation, de multiculturalisme et de nation, de genre, de génération et de race, de terrorisme, de victime, etc." Le terme völkisch qui pose tant de problème de traduction dans la prochaine édition française de Mein Kampf est ainsi abordé. Il existe bien d’autres notions qui s’altèrent en passant d’un contexte national au débat public. Pourtant, ce livre passionnant démontre que c’est moins l’incompréhension qui domine au sujet de ces concepts nomades que la richesse des points de vue. Après tout, on ne voit pas pourquoi les idées qui voyagent ne conserveraient pas, à l’instar des individus, une certaine jeunesse. Laurent Lemire