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Les livres d'été au beau fixe

Une lectrice au jardin du Luxembourg - Photo Olivier Dion

Les livres d'été au beau fixe

Des petits, des gros, des longs, mais surtout des romanesques... Les livres l'été gardent le moral au beau fixe. Nous avons passé au crible le marché de la littérature en grand format et en poche de la semaine 23 à la semaine 33, soit les dix qui précèdent la rentrée littéraire. Bonnes lectures.

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Par Julie Malaure
Créé le 23.06.2025 à 18h40

Il paraît que les Français lisent moins. Pas entre mi-juin et mi-août l'an passé en tout cas, puisque le volume de livres vendus sur cette période entre 2023 et 2024 était à la hausse de 1,1 %. Le chiffre d'affaires a suivi : 6,1 % de plus, en raison de la hausse du prix du livre de 5 %. Cohérent. Ce qui ne veut pas dire vendre de tout, tout le temps, loin de là. Un tiers des ventes s'effectue en juin, presque la moitié en juillet, tandis qu'en août s'amorce la décrue, vers un retour à la normale en attendant le tsunami des 600 et quelques titres annuels de la rentrée littéraire.

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Hélène Fiamma, directrice générale des éditions J'ai lu.- Photo OLIVIER DION

Ce que réclament les lecteurs ? Des poches, des poches, et encore des poches : 73,1 % l'été dernier. Parmi le quart restant au grand format (un chiffre en progression de 12 % par rapport à 2023 !) surnageaient les best-sellers qui ont marqué l'année : Le barman du Ritz de Philippe Collin (Albin Michel), Le nid du coucou de Camilla Läckberg (Actes Sud), suivis, dans l'ordre, d'Un animal sauvage de Joël Dicker (Rosie & Wolfe), Quelqu'un d'autre de Guillaume Musso (Calmann-Lévy), Norferville de Franck Thilliez (Fleuve), Plus grand que le ciel de Virginie Grimaldi (Flammarion).

Sans précédent

Sans surprise, cette année, Freida McFadden, l'autrice-médecin de la saga La femme de ménage, s'apprête à truster l'été avec ses deux parutions d'avril : la nouveauté, La prof, chez l'éditeur indépendant City, ainsi que La psy au format poche, chez J'ai lu. « McFadden a misé sur nous, et si je cherche des précédents, presque deux millions d'exemplaires vendus en 18 mois, je n'en trouve pas », se réjouit, à raison, Hélène Fiamma, à la tête de J'ai lu. Cette maison de livres de poche, dans le giron de Flammarion, fonctionne sur un modèle hybride, avec 40 % d'inédits en grand format et semi-poche.

Depuis octobre 2023, moment où J'ai lu a placé ce thriller en littérature blanche - huit mois après la parution du grand format -, les ventes ont doublé pratiquement tous les mois. La fierté d'Hélène Fiamma tient au fait que nombre de lecteurs « qui ne lisaient jamais ont acheté ce livre ». Un lectorat de conquête, comme avec la saga des Harry Potter il y a presque trente ans et ces enfants qui se sont mis à lire de longs pavés, parfois même en anglais pour ne pas avoir à attendre.

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Emmanuelle Bucco-Cancès, directrice générale des éditions HarpersCollins France et Adrien Bosc, directeur des éditions Julliard.- Photo MELANIA AVANZATO

« Le retour à fond du romanesque », nous explique à son tour Emmanuelle Bucco-Cancès, à la tête de HarperCollins France depuis neuf ans. « C'est la revanche de l'imaginaire, du romanesque sur l'autofiction, poursuit-elle. Je trouve ça génial que même des auteurs dits de genre, comme Olivier Norek ou Sandrine Collette, soient primés. Les littératures de l'imaginaire et jusqu'à la SF qui revient, cela traduit, je crois, une vraie volonté des gens d'échapper au réel et de voyager grâce au livre. C'est très encourageant pour la lecture ! » La saga Destinée suédoise, de Katarina Widholm, s'est déjà écoulée à 50 000 exemplaires, et HarperCollins compte sur le tome IV pour hisser haut ses couleurs cet été, mais aussi sur la version poche de La jurée de Claire Jéhanno, vendu à 45 000 exemplaires tous formats confondus.

Prêt ? Partez !

La très catastrophique visite du zoo du Suisse Joël Dicker arrive cette année encore en bonne place pour la compétition romanesque de l'été ; peut-être même coup double, placé à la fois en jeunesse et en littérature. On s'attend au bon maintien du genre noir et policier avec la montée des températures estivales, grâce à H de Bernard Minier (XO), qui a fait rempiler le méchant iconique de son Glacé (2011) dans une nouvelle enquête du commandant Martin Servaz, mais aussi grâce à l'arrivée pile à l'heure d'À retardement de Franck Thilliez (Fleuve).

La clôture de la trilogie de Camilla Läckberg avec le mentaliste suédois Henrik Fexeus, Mirage (Actes Sud), nous arrive par le nord, de même que Jo Nesbø qui propose avec Les maîtres du domaine (Gallimard), tiré à 50 000 exemplaires, la suite d'un titre de 2021, Leur domaine, vendu à plus de 160 000 exemplaires en France tous formats confondus. Faire paraître la suite de ce Norvégien en juin, plutôt qu'en septembre comme en 2021, ou traduire Récits de saveurs familières d'Erri De Luca, l'auteur italien le plus vendu en France, fait partie de la stratégie estivale de Gallimard.

Opération séduction

En plus des livres à fort enjeu positionnés en juin, la maison poursuit l'opération « Lectures d'été chez Gallimard » depuis vingt ans. Celle-ci vise à (re)mettre en avant les nouveautés fortes parues au cours du premier semestre. Concernant la période estivale 2025, la maison mise sur les livres de Leïla Slimani, David Foenkinos, Karine Tuil ou Chimamanda Ngozi Adichie. « Ces titres réalisent près de 30 % de leurs ventes totales sur l'été », nous explique-t-on chez l'éditeur historiquement niché dans le VIIe arrondissement de Paris.

Mais aussi, et une fois n'est pas coutume, on constate la percée surprenante, pour une lecture d'été, d'un essai qui se vend mieux qu'un roman. L'heure des prédateurs, de Giuliano da Empoli, qui surfe sur le succès à long terme du Mage du Kremlin, Grand Prix du roman de l'Académie française en 2022, se positionne en tête des palmarès depuis le printemps. On s'interroge même chez Gallimard : ne tiendrait-on pas là les balbutiements d'un nouveau phénomène : « l'émergence de la non-fiction et des livres qui tentent de décrypter le monde » ?

Retrouvez en document lié le classement des 50 meilleures ventes de livres de juin à août 2024 (S23 à S33).

Charleston : les femmes d'abord

La maison, fondée en 2013, l'a bien compris : le lectorat féminin modèle de plus en plus le marché de l'été.

L'Irlandaise Lucinda Riley aurait, selon l'éditeur, vendu 1,3 million d'exemplaires, poches compris, en 2024. La Rose de minuit cumulait déjà 70 000 exemplaires vendus douze semaines après sa parution et s'annonce comme le mastodonte de l'été. La dernière allumette de Marie Vareille, finaliste du prix Maison de la presse en 2024, a cumulé 60 000 exemplaires en grand format et c'est « une des meilleures ventes du Livre de poche », nous assure-t-on. Clarisse Sabard, avec sa série Le secret des agapanthes, dont le tome 2 vient tout juste de paraître, ou encore Sophie Jomain, dont Et viva la vida ! a dépassé les 10 000 exemplaires vendus en poche en neuf semaines, sont très attendus pour l'été.

Karine Bailly de Robien, directrice associée et fondatrice des éditions Charleston, au sein du groupe Leduc, maison indépendante rachetée par Albin Michel il y a sept ans, mise également cet été sur la nouveauté de l'Anglaise A. K. Benedict, Il était un loup, en librairie le 13 juin. Ce roman « horrifique féminin » met en scène une autrice de polar qui se fait kidnapper et se retrouve prise au piège d'un choix cornélien. « C'est la relève du cosy crime, qui est devenu un "océan rouge", au sens où il y a plus de publications qu'il n'en faut, et qui trouve une variante dans le thriller horrifique au féminin », nous éclaire l'éditrice. Naguère, le genre horrifique concernait un lectorat masculin, mais, sur le modèle du film Scream, plébiscité par les femmes, « le genre a su s'adapter à cet autre public », poursuit-elle, avant de nous livrer la quintessence du genre : « Dans les thrillers horrifiques, la femme n'est pas la victime jusqu'au bout, elle reprend la situation en main sans qu'un homme vienne la délivrer ! »

Vous avez dit féministes ?

Après treize ans de succès, la maison Charleston réaffirme un positionnement simple : des romans qui « rendent hommage à la force des femmes ». « Nos autrices sont très respectueuses de leurs lectrices. Elles sont assez féministes, elles font tenir la famille, elles transmettent à la génération suivante. »

Leduc est en train de pousser le curseur plus loin depuis la création de la maison Nami, la « vague » en japonais, axée sur ce que les Anglo-Saxons appellent la healing fiction, la fiction guérisseuse, pourrait-on dire, pas si éloignée que cela de la nomenclature du feel-good book telle que nous l'utilisons en France. Cette petite sœur nippo-coréenne de -Charleston a pris pour étendard les blockbusters de la Japonaise Michiko Aoyama, dont l'émouvant Bibliothèque des rêves secrets s'est accroché au top du classement du New York Times en s'écoulant à deux millions d'exemplaires avant son arrivée massive en France à l'été 2022. L

D'Hyères à Douarnenez, deux libraires vendent l'été

En première ligne de l'organisation estivale : les libraires. Côte atlantique ou méditerranéenne, ils restent de bon conseil.  

Côté terres, les librairies vont se vider, assaillies par les bouffées caniculaires de l'été. Côté mer, on se prépare à accueillir le flux saisonnier des vacanciers. Brice Fontan, à la librairie L'Angle rouge, à Douarnenez, en Bretagne, souligne l'indiscutable prise de poids de ses clients, en livres de poche, au mois d'août, portée par la valeur ajoutée de la signalétique " avec des petits cœurs " sur les grosses - ou moins grosses - ventes qui ont raflé leur préférence dans l'année. Dans cette librairie collaborative, fréquentée par des estivants plutôt parisiens, CSP++, on préconise cet été " des valeurs sûres ", comme le premier Piergiorgio Pulixi, L'île des âmes, paru chez Gallmeister en 2021, chez Totem en poche, Amiante de Sébastien Dulude, à La Peuplade, Les éphémères d'Andrew O'Hagan chez Métailié, en lice pour le prix des Libraires, et leur meilleure vente, l'histoire féministe des sardinières de Douarnenez, Une belle grève de femmes d'Anne Crignon, paru en 2023 chez Libertalia. " Le féminisme et les questions de genre plaisent beaucoup ici, surtout aux jeunes, notamment le livre d'Adèle Yon, Mon vrai nom est Élisabeth, au Sous-sol [voir encadré], ou Vivre avec les hommes de Manon Garcia chez Climats. "

À Hyères, dans le Var, la population double en juillet et août. La journée de Coralie Chevillon, de la librairie Charlemagne, est à ce moment-là " très différente du reste de l'année ", avec des pics de fréquentation en " matin ou fin de journée " corrélés à la principale activité : la plage, qu'on y aille ou qu'on en revienne. Du sable entre les pages, des bouées dans les rayons, mais surtout l'accent porté sur " des poches pour la plage, des lectures faciles, sans prise de tête ". Ce que cherchent les touristes hyérois en franchissant le seuil de la librairie Charlemagne, c'est " s'évader du quotidien ".

Le juillettiste serait " plutôt détendu ", tandis que l'aoûtien s'annonce " plus compliqué ", sans qu'aucun ne puisse toutefois trouver son bonheur dans le lot des ouvrages fichés à la main, " même s'ils ne sont pas récents ". " C'est plus simple quand on a déjà lu un livre de le défendre avec passion et d'arriver à convaincre ", poursuit-elle. Détachée de la temporalité des sorties, Coralie a en tête ses trois " romans chouchous ". Un polar suédois, L'île de Yule de Johana Gustawsson (Calmann-Lévy 2023, Le Livre de poche 2024), en forme de huis clos, " parce qu'il y fait assez froid, et qu'on lit ça d'une traite, sans jamais savoir qui est le coupable ". L'île de Yule s'est vendu à 65 000 exemplaires, nous dit-on chez l'éditeur, qui espère bien gonfler les paniers moyens estivaux avec la nouveauté de la même autrice Les morsures du silence, paru en janvier avec un premier tirage à 25 000 exemplaires. Ensuite, Grandir un peu de Julien Rampin (Charleston 2021, Le Livre de poche 2022), " parce que c'est un roman qui fait du bien pour les jours qui font du mal. Tout le monde peut s'y identifier et je n'ai eu que des retours positifs ", explique-t-elle. Enfin, La passeuse d'histoires de l'Indienne Sejal Badani, chez Charleston. Trois générations de femmes, trois époques différentes, pour un roman qui a " transcendé " Coralie. " J'adore les romans de femmes, et celui-ci m'a touchée en plein cœur ", conclut la libraire. Difficile de ne pas se laisser convaincre.

Adrien Bosc : « Avec Adèle Yon, février s'est révélé un mois propice »

Le premier roman hybride d'Adèle Yon, Mon vrai nom est Élisabeth, serait-il " le tube de l'été " 2025 ? Son éditeur, aux Éditions du sous-sol, également écrivain, nous raconte son émergence.

Livres Hebdo : À quel moment avez-vous senti que Mon vrai nom est Élisabeth aurait un destin inattendu ?

Adrien Bosc : Assez tôt. Au-delà de ma propre conviction sur le texte, j'ai vu le reste de la maison et du groupe s'en emparer en toute autonomie. Il devenait " leur " livre. Et puis, très vite, les libraires ont suivi, la presse aussi.

Aviez-vous choisi sa date de parution pour qu'il s'inscrive dans les lectures estivales ?

Pas du tout. Je ne raisonne pas ainsi pour un premier roman. En revanche, la date a compté pour le préserver de la concurrence. Je savais que janvier serait impitoyable cette année, avec les sorties successives d'Haruki Murakami, Philippe Besson chez Editis, Camille Laurens, Vanessa Springora, Leïla Slimani, Pierre Lemaitre ailleurs... Le publier à ce moment-là aurait été une folie. Février, longtemps considéré comme un mois " maudit ", s'est révélé beaucoup plus propice à la découverte.

Comment prépare-t-on l'été d'un livre comme celui-ci ?

On anticipe. L'objectif était d'atteindre 50 000 exemplaires avant les départs en vacances. Le livre ayant trouvé un premier écho favorable, nous avons ensuite élargi la diffusion à d'autres types de librairies. La presse a aussi joué son rôle, via des relais classiques : publicités, mises en avant, affiches... Enfin, nous avons misé sur le bouche-à-oreille, d'autant plus puissant ici : chaque lecteur devient prescripteur pour quatre ou cinq autres. C'est remarquable. Il n'est pas exclu qu'après La Grande Librairie, des médias télévisés s'emparent à leur tour du phénomène - ce qui nous sortirait des circuits de promotion habituels.

Y a-t-il un précédent, chez vous, d'un livre qui aurait " pris " l'été, à la surprise générale ?

Jours barbares. Une vie de surf de William Finnegan (Prix Pulitzer 2016), paru en 2017 chez nous au Sous-sol. Il a été lancé par La Grande Librairie, puis a remporté le prix America, et a été mis en lumière par Quotidien en juin. Une fois le succès installé en librairie, la presse l'a qualifié de " roman de l'été ", alors que c'était un récit de non-fiction... Comme s'il ne pouvait y avoir de phénomène estival sans roman !

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