Histoire/France 10 janvier Annette Wieviorka et Danièle Voldman

Sept ans de réclusion ! Dans le box des accusés, Ginette et Claude Bac. Ils ont chacun 25 ans et la cour d'assises de la Seine vient de les condamner pour avoir laissé mourir de faim Danielle, leur quatrième enfant. Le 4 juin 1954, ce fait divers intéresse peu la presse. Après un pourvoi en cassation, le 7 juillet 1955, le nouveau procès devant les assises de Versailles ramène la peine à deux années de prison couvertes par la détention. Les époux Bac sortent libres du prétoire, mais leur histoire intéresse désormais les journalistes et une femme, la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé. Elle a témoigné à ce second procès et sa déclaration a marqué le tribunal. Elle montre combien ce drame est la conséquence des maternités à répétition, de la dépression d'une mère et de la misère.

Le premier procès avait mis en évidence la dérive d'un couple vivant à Saint-Ouen, à la périphérie de Paris, dans un appartement transformé en taudis. « Le matelas du lit où dorment les trois aînés est souillé d'urine et de matière fécale. » Les services sociaux ont été alertés par les parents, sans effet. « Ginette n'arrivait pas à faire face à tout le travail requis par le soin de ses enfants : les nourrir, les habiller, les surveiller alors que ses deux filles avaient besoin de couches, non jetables rappelons-le à l'époque, constamment à laver et relaver. Elle se mit à stocker le linge sale dans ce qui était devenu un débarras et sous son lit. »

Claude, ouvrier mécanicien, semble avoir pris conscience après coup du naufrage. Il l'avouera au commissaire de police. « C'est vous qui lors de vos constatations m'avez montré l'horreur de l'état de mon enfant car je l'ai examiné alors de près et nue. J'ai songé aux visions de corps de déportés. » Avec une rigueur extrême, Danièle Voldman et Annette Wieviorka ont repris le dossier et retrouvé les rares témoins de cette affaire comme Odile Flory, l'avocate commise d'office qui avait l'âge des accusés.

Comment ce couple ordinaire a-t-il fini par rejoindre la rubrique judiciaire ? C'est le sujet de ce livre édifiant écrit par deux historiennes de talent. Mais ce n'est pas le seul. C'est aussi l'histoire de l'émancipation féminine avec la création, un an après le second procès, de la Maternité heureuse qui deviendra le Mouvement pour le planning familial. On découvre ainsi la personnalité de Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, une catholique qui épouse son directeur de thèse Benjamin Weill-Hallé en février 1944. Ce grand médecin spécialiste des maladies infectieuses est juif et il porte l'étoile jaune sur son pardessus lors de la cérémonie. L'anecdote en dit long sur l'amour et le courage de cette femme. Ses combats, elle les destine à la puériculture, à l'amélioration de la condition de l'enfant et des mères avec l'idée de voir supprimés les articles 3 et 4 de la loi de 1920 qui interdit les contraceptifs et pénalise l'avortement. Cette histoire de « gens sans importance » devint un fait de société et provoqua une étincelle dans les consciences. Elle déboucha sur les lois Neuwirth (1967) et Veil (1975). Le livre appelle chacun à s'en souvenir.

Annette Wieviorka et Danièle Voldman
Tristes grossesses : l’affaire des époux Bac (1953-1956)
Seuil
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 18 euros ; 192 p.
ISBN: 9782021399943

Les dernières
actualités