4 janvier > nouvelles Etats-Unis > Lucia Berlin

L’année dernière, ce fut l’un des événements de l’année littéraire en Amérique. Unanimité critique, présent dans les listes de meilleures ventes et traduit dans plus de vingt-quatre pays, le Manuel à l’usage des femmes de ménage fit effet. Son auteur ? Une femme, Lucia Berlin, qui aurait été oubliée si elle avait jamais été reconnue, morte le jour de ses 68 ans en 2004. Chacun outre-Atlantique y est allé de son compliment à propos de ces 43 nouvelles, comme autant de saynètes autofictionnelles vues à travers le miroir brisé du quotidien. L’indispensable Raymond Carver ou bien Alice Munro furent convoqués à la barre des comparaisons, qui n’ont pas forcément raison.

De quoi s’agit-il ? De rien finalement, de la grandeur désolée des petites choses, des épiphanies solitaires d’une femme perdue, d’une vie tout simplement. Les héroïnes (car ce sont le plus souvent des femmes) de Lucia Berlin font comme elles peuvent avec leurs plaisirs et leurs jours. Elles sont profs d’espagnol, standardistes, réceptionnistes, infirmières aux urgences, fréquentent autant leurs souvenirs que le Lavomatic en bas de chez elles. Elles n’oublient pas qu’elles ont connu des jours de grâce, qu’elles se sont fait allumer leur première cigarette par l’Aga Khan, qu’elles ont bu (beaucoup) et aimé (plus ou moins bien) avant que cela ne se transforme en destin, qu’elles ont été jeunes. Elles ne se plaignent pas, elles vivent.

Ces vies, c’est celle de Lucia Berlin, née en Alaska, ayant passé son enfance au Texas et sa jeunesse à Santiago du Chili, connu la bohème artistique à New York et, presque sa vie durant, les affres de l’alcoolisme et des petits boulots. Pourtant, avoir vécu ne garantit pas d’être écrivain. Si elle l’est, et avec tant d’élégance, c’est par sa merveilleuse capacité à transgresser le quotidien, à faire un pas de côté sur la route trop balisée des causes et conséquences. Peu de proses sont aussi musicales que la sienne, faite de ruptures de ton, de rythmes sourdement lyriques, un peu à la façon de la Eve Babitz de Jours tranquilles, brèves rencontres (Gallmeister, 2015). Quoi qu’on en dise, ce Manuel en est la preuve, Lucia Berlin est vivante. Olivier Mony

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