20 octobre-28 septembre > Histoire France > Bernard Lecomte et Magali Delaloye

Le Kremlin est un des hauts lieux du pouvoir politique, en tout cas celui qui a fait le plus fantasmer au XXe siècle. Pour Churchill, il incarnait une Russie qu’il voyait comme "un rébus entouré de mystère au milieu d’une énigme". Deux ouvrages se proposent de dissiper les brumes et de lever un coin du voile. Celui de Magali Delaloye est une extension de sa thèse, "Des moustaches et des jupes", consacrée à la place de la femme dans les cercles du pouvoir sous Staline. Cette jeune universitaire qui enseigne à Lausanne a choisi le mode anthropologique, mais heureusement pas le langage qui va avec, pour aborder son sujet.

De Sophie Paléologue, l’épouse d’Ivan III au XVe siècle, à Raïssa Gorbatchev, la première "first lady" russe, l’historienne regarde "sous les jupons du Kremlin" sans jamais s’égarer dans les fanfreluches. Dans cette évocation, il est évidemment question d’anecdotes coquines, de quelques débauches hétéro ou homosexuelles, de libations staliniennes, mais cette histoire "érotique" est surtout une façon commercialement plus astucieuse de poser la question du rôle des femmes dans le jeu politique russe.

Ainsi Lénine pratique le ménage à trois avec sa femme surnommée "le crapaud" et une institutrice, Boukharine le romantique préfère les intellectuelles, Kirov les jeunes danseuses, tandis que le couple Molotov forme un cocktail exemplaire de conjugalité. Mais Koba - le surnom de Staline - préfère les bottes aux escarpins, du moins pour l’exercice du pouvoir. Les épouses - comme les opposants - disparaissent assez vite et sont réduites à un rôle traditionnel de potiche. Elles ne reviendront, très timidement, qu’avec Khrouchtchev et surtout avec Gorbatchev pour disparaître à nouveau…

L’histoire vue par le trou de la serrure intéresse moins Bernard Lecomte, sauf si cette serrure ouvre des secrets et permet de comprendre quelques épisodes représentatifs de la Russie communiste. Papologue renommé, auteur d’une biographie de référence sur Jean-Paul II (Gallimard, 2003, Folio, 2006), il est aussi kremlinologue. Ce grand connaisseur de la Russie et des pays de l’Est - on lui doit une étude sur Gorbatchev (Perrin, 2014) - a repris les grands événements qui ont émaillé cette histoire. Il y en a seize au total, de l’assassinat de Raspoutine, qu’il raconte comme un thriller, au destin du petit caïd de Leningrad devenu le nouveau tsar par la volonté de Boris Eltsine, Vladimir Vladimirovitch Poutine. Il revient aussi sur l’assassinat des Romanov, le massacre de Katyn ou l’affaire Farewell. Pour comprendre ce qui se passe derrière les murs de cette forteresse (kreml’ en russe), rien de tel que ces deux ouvrages sérieux, documentés et surtout très accessibles, associant la documentation au plaisir de la lecture. "La rumeur est une spécialité russe", nous dit Bernard Lecomte. La transparence n’est pas pour autant une spécialité française, mais le bruit que fait l’histoire n’est pas proportionnel à sa vérité. Nous en avons ici deux démonstrations exemplaires. L. L.

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