Achevons – dans tous les sens du terme – la dissection du jugement Google. L’exception de citation — brandie par le moteur de recherche, à défaut d’avoir pu faire appliquer le Fair Use américain, plus en sa faveur — est rejetée : les couvertures sont reproduites in extenso, assène le jugement. Mais les magistrats n’ajoutent pas un mot de plus pour expliquer ni en quoi les couvertures sont protégées par le droit d’auteur ni comment l’éditeur en détient bien les droits en cas de mise en ligne... Or, il est rare que l’auteur de l’ouvrage (signataire du contrat d’édition dont le tribunal est, rappelons-le, heureux d’avoir pu disposer) soit également le concepteur de la couverture. De même, la courte citation est écartée à propos du contenu des livres, parce que «  l’aspect aléatoire du choix des extraits représentés dénie tout but d’information  » tel qu’exigé par le Code de la propriété intellectuelle. Pas plus d’explications à cette affirmation (aléa du choix = absence de but d’information). Puis, le jugement s’octroie un détour par le droit des marques, au final plus instructif que sa dissertation en demi-teinte sur le droit d’auteur. Les marques des trois éditeurs ayant assigné ne sont pas jugées contrefaites, en raison de l’absence d’usage par Google dans la vie des affaires pour désigner ses propres produits ou services. Plus désagréable pour les sociétés demanderesses : la déchéance des marques Seuil et Editions du Seuil est prononcée, faute d’exploitation, pour ce qui est de la «  location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données relatives à des œuvres littéraires, artistiques ou documentaires  »… Editeurs, méfiance en la matière : le doit exige d’exploiter dans les cinq ans ce qui est mentionné dans le dépôt de marque, sous peine de perdre partiellement ladite marque. Cependant, dans le même élan, le tribunal reconnaît la « notoriété » de la marque Le Seuil, à l’aide de la liste des prix littéraires, des articles de presse, du programme d’une exposition à Beaubourg, etc. C’est là une digression fort intéressante pour les maisons d’édition prestigieuses (même si elle demeure sans grande portée pratique dans la présente affaire). Sans rentrer dans le détail, une marque notoire est en effet mieux protégée qu’une marque « simple ». Reprenons le (peu droit) fil de notre jugement. Le parasitisme, un temps invoqué, y est écarté purement et simplement, à la décharge du tribunal, qui souligne qu’aucun élément concernant les investissements n’a été versé aux débats. Et nous voilà frustrés, cette fois par les parties, d’un autre point qui aurait intéressé les entreprises culturelles aux prises avec les pillards numériques de toutes sortes. Enfin, le jugement aborde le «  règlement transactionnel de classe avec les éditeurs américains  », c’est-à-dire l’accord proposé soudainement par Google après avoir pratiqué la politique du bras d’honneur. Le jugement nie toute «  opposabilité  » de cet arrangement au groupe La Martinière, les éditeurs concernés n’étant pas impliqués dans le processus. Mais, alors, pourquoi diable avoir cru utile de préciser que cette transaction est «  en cours de validation par la justice américaine  » ? Cette dernière touche est, là encore, surabondante et rend moins claire la rhétorique suivie par les juges français. On l’aura compris. A l’Est du Pecos, l’équité, comme le droit, requéraient la condamnation (dont Google, comme il fallait s’y attendre, a interjeté appel). Cependant, les règles de la propriété littéraire et artistique sont appliquées sans toujours autant d’application qu’elles l’auraient nécessité.  
15.10 2013

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