Carl Sandburg (1878-1967) était poète. C’est sans doute pour cela que ses mots sont si choisis dans ses reportages. Celui-ci, publié en 1919, est un modèle du genre. Sur les émeutes raciales de Chicago, on n’a jamais mieux écrit. Précis, net, tranchant. Il ne dit pourtant rien des faits, du sang versé. Il se contente d’examiner la condition des Noirs et pose des questions. Cela vaut tous les éditoriaux sur le sujet. Cet écrivain qui reçut deux fois le Pulitzer permet de saisir ce qui s’est déroulé du 27 juillet au 8 août 1919. Ces treize jours de terreur ont fait 537 blessés et 38 morts - 23 parmi les Noirs et 15 parmi les Blancs. Pendant près de deux semaines, les affrontements raciaux furent d’une violence inouïe. Il suffit de regarder les photographies reproduites dans le livre. La haine est là, palpable. La misère aussi. La longue préface de Christophe Granger donne tous les éléments aux lecteurs français pour comprendre l’événement vieux de près d’un siècle, mais qui fait écho aux récentes émeutes raciales aux Etats-Unis. Quelques lignes suffisent à Sandburg pour résumer ce red summer, cet été rouge. "Nous avons d’un côté des autorités municipales aveugles et bafouant la loi, incarnées par des policiers ignorant tout de Lincoln, de la guerre de Sécession et de la Proclamation d’émancipation, et une théorie approuvée et baptisée dans un bain de sang. Et de l’autre côté, nous avons une pauvreté extrême d’où sortent les voyous." En traduisant ce classique, en y ajoutant des documents, des cartes et un mémorial des victimes, Chloé Pathé a eu une belle idée pour sa nouvelle maison d’édition Anamosa, décidément prometteuse. L. L.
