15 mars > Récit France > Adélaïde Bon

C’est un récit autobiographique perturbant, à la lecture parfois éprouvante, mais d’une force littéraire qui l’élève très au-dessus du simple témoignage vécu. Son auteure, Adélaïde Bon, est née en 1981, elle est actrice. Dans ce premier texte, elle raconte sa longue remontée des abysses après un traumatisme d’enfance. Les premières pages exposent les faits : à 9 ans, cette petite fille de bonne famille est agressée par un homme dans la cage d’escalier de son immeuble, dans le 16e arrondissement à Paris. Les parents portent plainte, puis tout est enfoui.

Dans ce récit, Adélaïde Bon écrit longtemps à la troisième personne, le je ne s’imposant que dans la dernière partie du récit. Elle a 10 ans, 15 ans, 20 ans, 30 ans. Elle se goinfre en cachette, se passionne pour le théâtre, joyeuse en dehors, absente en dedans, désolidarisée de son corps "vil et traître" qui lui inspire ennui ou dégoût. Aux yeux de tous, elle est une fille pleine de vitalité. Pourtant, une guerre est déclarée, l’ennemi est à l’intérieur. "De jour en jour, les méduses se propagent." Suivent des années de crises d’angoisse terrassantes, des douleurs aux mâchoires, des images violentes incompréhensibles, et surtout un isolement où elle lutte en silence, écartelée entre la tentation d’en finir et la volonté d’aller mieux qui la fait suivre toutes les pistes thérapeutiques.

Vingt-trois ans après "le dimanche de mai", elle reçoit un coup de fil de la Brigade des mineurs : un homme a été arrêté. Surnommé "l’électricien", il est soupçonné d’avoir agressé des dizaines de fillettes. Elle découvre ainsi qu’il y a d’autres "petites filles sur la banquise" où elle se tient, "petite et perdue et gelée, debout, dans un immense désert blanc à attendre". Le diagnostic est enfin posé : "état de stress post-traumatique". Et le parcours judiciaire commence : la plainte pour attouchement sexuel est requalifiée en viol. Partie civile au procès, elle témoigne au côté de dix-neuf autres jeunes femmes devant un prédateur qui nie tout et insulte la cour. Le récit tisse leurs dépositions, comme une vertigineuse litanie. Tous ces mots de douleur singuliers, longtemps étouffés, viennent amplifier un chœur tragique. Et Adélaïde Bon peut déposer sur la tombe de la petite fille abusée qu’elle a été ce livre de délivrance. "Que ces fleurs de papier soient ta couronne."

Véronique Rossignol

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