L’irréductible

Sabri Louatah. - Photo photo Jean-Luc bertini © Flammarion

L’irréductible

Sabri Louatah publie le troisième tome de sa tétralogie, politique-fiction sur fond d’élection d’un président français issu de l’immigration. Palpitant.

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Par Sean James Rose,
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 11.10.2013 à 23h52

En 2009, alors qu’à peine cinquante ans auparavant un Noir n’était pas autorisé à utiliser des toilettes réservées aux Blancs, un homme d’origine afro-américaine est élu 44e président des Etats-Unis d’Amérique… Sabri Louatah a transposé cette situation inédite en France. Dans Les sauvages, un certain Idder Chaouch, candidat PS issu de l’immigration, se retrouve au second tour de l’élection face au président sortant Nicolas Sarkozy. Sauf que, avant même que sa victoire soit confirmée, Chaouch se fait tirer dessus et tombe dans le coma, les quartiers s’embrasent, la famille de l’assassin accusée d’appartenir à un réseau terroriste s’entre-déchire, et l’enquête se transforme en un formidable imbroglio politico-judiciaire… Ainsi débute la tétralogie de ce jeune romancier de 30 ans, et dont le troisième tome sort à la rentrée chez Flammarion, et chez Versilio pour la version numérique.

Haletante politique-fiction doublée d’une grandiose fresque familiale mettant en scène les Nerrouche, Français d’origine kabyle, Les sauvages, c’est avant tout une anatomie de l’Hexagone d’un réalisme assumé. « Il ne s’agit pas de fidélité documentaire, explique Sabri Louatah. Le réalisme c’est quand on incruste des êtres, des choses, des paysages dans la vie. Le réalisme, on le mesure au degré d’incrustation dans la vie. Ce que doit imiter le roman ce n’est pas la réalité, c’est la vie, ce flux-là. » Nabokov disait qu’en lisant Tolstoï on avait l’impression que les gens étaient dans la même pièce que soi. Les dialogues des Sauvages sont d’un naturel sans ennui et vous font tourner les pages. Mais le grand Russe, pour Louatah, c’est Dostoïevski. Les démons l’a influencé et le thème du nihilisme gît au cœur de sa fiction… Le titre, emprunté à un épisode des Indes galantes de Rameau, est volontairement ambigu. « On croit que c’est cette famille, les Nerrouche, ensuite les politiques, ce cabinet noir ou sauvage, ou encore les émeutiers “les sauvageons?. Les sauvages, ce sont en fait tous les Français, les habitants de ce pays regardés d’une manière particulière, avec une énergie nouvelle. »

Louatah, bien que naturellement tourné vers la lumière, sait en bon réaliste explorer les anfractuosités de l’âme, regarder les faits droit dans les yeux. La lucidité peut même s’exprimer par le truchement du terroriste : « Nazir compare la République à un père fouettard, qui exige de ses enfants bâtards (les Arabes) un comportement exemplaire. Le modèle intégrationniste me paraît pousser perversement à vouloir tuer ce père adoptif, la France. » L’auteur des Sauvages vient de passer quelque temps à New York dans une maison prêtée par Susanna Lea, sa découvreuse, agente entre autres de Marc Levy. Séduit par le melting-pot outre-Atlantique, il demeure clairvoyant : « Je ne crois pas que le multiculturalisme soit meilleur, disons qu’il promet moins, la désillusion est du coup moins brutale. Bien sûr, je rêve d’Amérique, qui pour le coup est une vraie terre d’immigration, construite par des immigrés - mais l’Amérique n’a pas l’égalité dans son ADN idéologique, et quand on a grandi en France on a beaucoup de mal à imaginer vivre heureux alors que son voisin est malheureux. »

L’Obama français du roman.

Né en 1983 à Saint-Etienne, Sabri Louatah est l’aîné de trois enfants, milieu très modeste (des parents souvent au chômage) mais ouvert (typiques musulmans laïcisés), va à l’école catholique de son quartier. Alors qu’il s’était rêvé médecin, il opte pour la voie royale des études littéraires : classe prépa à Lyon… Mais le carcan académique avec dissertations en trois parties, très peu pour lui. Du reste, il ne s’imagine ni enseigner ni faire de la critique. Non, Sabri veut juste être écrivain. D’où lui est venue l’étincelle ? Evitant les grandes réunions de son clan, il fréquente assidûment la médiathèque près de chez sa grand-mère et lit tout. Ce féru de classiques est aussi rompu à l’intrigue des séries TV. Résultat : du romanesque d’une redoutable efficacité.

A s’entretenir avec Sabri Louatah, à le lire surtout, on a l’impression que le modèle à la française a plutôt bien fonctionné… Mais là encore, ce serait céder à l’autosatisfaction un brin condescendante de ceux qui n’envisagent guère que la France évolue… Dans Les sauvages, pas de réduction identitaire ni de caricature idéologique, l’ambiguïté propre aux grands romans : Chaouch, l’Obama français du roman, assume l’ère mondialisée et parle couramment le chinois ! Quant à Louatah, il n’entend pas livrer de message particulier : « Je suis dans des vacillements permanents, je ne suis pas un intellectuel ou un essayiste, j’écris des histoires, avec des émotions, des sentiments mêlés, je suis aussi abrasif, mobile et perdu que mes “sauvages?. »

Sean J. Rose

Les sauvages, tome 3, Sabri Louatah, Flammarion, 21 euros, 592 p., ISBN : 978-2-08-129248-2. Parution le 21 août.

11.10 2013

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