La guerre est un pays qui n'est plus un pays, c'est une terre dévastée, barrée de cicatrices mal refermées. Dans La femme du tigre (Calmann-Lévy, 2011), Téa Obreht, née à Belgrade en 1985 et vivant depuis l'âge de 12 ans aux Etats-Unis, en faisait la topographie. Elle y racontait la Yougoslavie meurtrie par la guerre civile, l'un des derniers conflits du XX^e siècle sur le continent européen. Une femme médecin venue vacciner des orphelins se retrouvait plongée dans un monde pétri de folklore magique et de superstitions, de cauchemars d'enfants et de souvenirs d'atrocités.

Avec ce deuxième roman, Inland, l'auteure d'origine serbe, lauréate de l'Orange Prize (prix littéraire britannique spécifiquement féminin décerné à la meilleure écrivaine de langue anglaise de l'année, quelle que soit sa nationalité), nous embarque dans la cavale du hors-la-loi Lurie, dans l'Ouest américain, vers l'Arizona de la fin du XIX^e siècle, à l'époque de la Frontière - inland, l'« arrière-pays » en anglais, ce territoire à défricher pour les pionniers et à réinventer pour les écrivains. Lurie, de son vrai nom Djuri?, comme l'auteure du roman, est né dans les Balkans, sous l'empire ottoman, avant d'émigrer dans le Nouveau Monde. L'histoire du « petit Levantin hirsute » demeure floue, orphelin et sans réelle protection il se met sous la coupe de jeunes bandits, les Mattie. Sa vision du monde ne puise pas dans le rationalisme occidental, son existence est traversée de fantômes, il tutoie les âmes errantes.

A l'échappée de Lurie, Téa Obreht a aussi mêlé les péripéties de Nora, femme de la Frontière, femme au foyer vide, qui espère le retour de son mari parti en quête d'eau, et de ses deux grands garçons disparus après s'être disputés. L'aventure dans ce far west n'a rien de palpitant, les jours s'écoulent, tels ceux de Pénélope, mais sans prétendants pour courtiser cette femme dont la jeunesse a passé. Il y a le shérif qui pourrait être un amant en creux, l'ombre aimante de l'époux qui l'a fichue dans cette galère, il y a sa fille morte dont elle entend la voix. Dans l'attente, elle est persuadée qu'une bête rôde autour de la maison. La vie de Nora est un désert, jusqu'au jour où son chemin croise le destin de Lurie.

Téa Obreht revisite le western en y instillant un lyrisme rocambolesque hérité des Balkans. Improbable que cette rencontre ? Pas pour qui sait combien le réel contient son lot de magie.