Que faire de la beauté ?, c'est le récit composé en une nuit et une centaine de pages par Félicité, une ex-enseignante, ex-écrivaine, qui reprend sa pratique après quinze années occupées à « ne pas écrire ». « Quelle nécessité y a-t-il à écrire par temps d'urgence climatique, migratoire, sociale ? » Dans les années 2030, isolée dans un coin de montagne, Félicité s'adresse à « l'homme du futur », une figure qui se dédouble au cours du texte. La narratrice le fait d'abord apparaître sous les traits d'un jeune brigadier zélé, Eddie, qui surveillait qu'elle ne vienne pas en aide aux exilés traversant les montagnes. Après qu'il s'est effondré dans la neige, elle entreprend de le soigner. Elle lui écrit dans un carnet qu'elle a retrouvé sur lui, et lui parle comme à un fils à qui il est nécessaire de traduire le monde avant l'ère du tout Internet, du tout robotisé et de la chasse aux exilés.

C'est l'homme d'une génération qui ne connaît pas Orwell et qui, d'ailleurs, ne sait plus lire. Elle lui parle de littérature, de ses anciens élèves, du droit à l'oubli et de sa rencontre avec Ismael, un exilé de son âge à lui, qu'elle a accueilli après des semaines d'un trajet difficile. Ne serait-ce pas ce dernier l'« homme du futur », sans cesse « obligé de penser à l'ailleurs, et à l'autrement » ? Celui qui pose la question du retour, après avoir fui par nécessité vitale ? Lucile Bordes façonne, dans le rythme haletant d'une écriture qui refait surface dans l'urgence, le témoignage poétique et politique de temps tristement marqués par l'isolement, l'exil et la surveillance policière.