16 janvier > Roman France

C’est l’histoire d’un homme au faîte de sa gloire. Ou presque. Président d’une institution financière internationale, il ne lui reste plus qu’à gagner les élections de son pays, dont chacun prédit qu’elles lui sont acquises… C’est l’histoire d’un homme qui aime les femmes - péché véniel en terre de libertins - et dont les sensuels dérapages sont contrôlés par une milice de communicants aux ordres d’une épouse richissime nourrissant des rêves de première dame… C’est l’histoire d’un homme ivre de puissance et qui n’a pas su dire non aux charmes de la femme de chambre de l’hôtel new-yorkais où il séjournait… Dans son nouveau roman, on l’aura deviné, Régis Jauffret s’empare de l’affaire DSK - même si l’ancien directeur du FMI ni nombre des protagonistes ne sont nommés - pour composer la tragédie de celui qui est tombé dans l’abîme de son désir de pouvoir et de sexe. Aux épisodes ultra-médiatisés de la vertigineuse chute du titan de la politique et de la finance, l’auteur de La ballade de Rikers Island a greffé son enquête en Afrique sur les traces du passé de Nafissatou Diallo - pour le coup, citée, la « soubrette troussée », tour à tour pion vénal d’un complot, machiavélique maîtresse chanteuse, égérie du féminisme outragé…

Voilà Jauffret en Casamance au Sénégal, puis à Conakry en Guinée, accompagné de Dimitri, un ex-directeur pour la zone Afrique d’une multinationale d’électroménager qui lui sert de guide. Comme dans Claustria, pour lequel il était parti enquêter en Autriche sur Fritzl et la famille que ce père violeur et incestueux avait séquestrée, le romancier se fait le narrateur participatif de son propre ouvrage, il interroge la tante de Nafissatou et les proches honteux de l’opprobre global éclaboussant le clan peul des Diallo.

Dominique Strauss-Kahn humilié lors du perp walk (la coutume américaine d’exhiber le suspect menotté), Anne Sinclair digne face au scandale et à l’adversité des flashs… Des images en boucle qui ont effaré la planète entière et fourni la matière du roman. Depuis plusieurs livres, Sévère (Seuil, 2010) sur l’affaire Stern, le banquier suisse retrouvé mort dans une combinaison de latex, Claustria (2012) sur l’affaire Fritzl susmentionnée, Régis Jauffret s’intéresse aux faits divers. Mais Jauffret n’est pas Carrère, et la reconstitution minutieusement objective n’est pas son propos. Il y a chez l’auteur d’Univers, univers un au-delà de l’investigation policière. Pour documentées que soient ses pages, La ballade de Rikers Island n’est pas un docufiction. Car si la vérité importe, elle ne gît pas dans le récit froid des faits. La vérité du roman, c’est dans les interstices de la réalité qu’on la trouve : ce qu’a pu éprouver l’épouse à l’annonce du coup de grâce à l’avenir présidentiel de l’époux et au couple d’ambitieux qu’elle formait avec lui ; la monstrueuse libido d’un ogre hanté par la peur du vide et le gouffre de l’ennui : « Il a toujours fui la grisaille, il préférait brûler que cuire, qu’apparaisse en lui le noir du revolver plutôt que les reliefs d’un feu de joie qui s’est éteint aux aurores » ; l’enfance du jeune Dominique à Agadir ou encore le rêve d’Occident d’un continent noir vermoulu d’illusions consuméristes. La lorgnette du détail n’est pas l’œil scrutateur du journaliste, on ne peut s’empêcher d’admirer la capacité de l’écrivain à faire siennes d’autres vies que la sienne. La fiction coule dans ses veines, et quoi qu’il écrive c’est du roman, quelque chose de plus large que la platitude du réel, comme de « la réalité augmentée ».

Sean J. Rose

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