Essai/France 19 avril Jean-Laurent Cassely

Jean-Laurent Cassely chausse à nouveau ses lunettes chirurgicales d'anatomiste de l'ultra-contemporain. Après La révolte des premiers de la classe : métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines (Arkhê, « Vox' », 2017) - 15 000 exemplaires vendus, repris en « J'ai lu » fin août -, une enquête sur le rejet de la vie de bureau et le « retour » de certains diplômés à l'artisanat, le journaliste chez Slate poursuit son travail d'investigation des phénomènes de la société postmoderne. Dans No fake (même éditeur), il tente de dresser une topographie de ce qu'il a nommé l'« Hyper France », inspirée du concept d'« hyperréalité » travaillé par le sociologue Jean Baudrillard - ce moment où le simulacre devient plus réel que la réalité qu'il simule. Il s'agit pour l'auteur, lui-même un millénnial (cette génération qui a 20 ans en l'an 2000), de se demander ce qui, à l'ère de la globalisation et du tout numérique, génère tant d'attrait chez ses contemporains pour l'enracinement dans une tradition fantasmée et un savoir-faire concret - le retour au « vrai truc ». D'où vient cette obsession de l'authentique ?

L'auteur s'y connaît en jargon, qui a cosigné chez Parigramme avec Camille Saféris Je parle le parisien en 2013, à paraître à la mi-juin avec une remise à jour complète. Aussi tient-il à conserver quelques notions dans l'idiome originel anglo-saxon, tant elles revêtent des réalités inexprimables dans notre langue. Ici c'est fake plutôt que « faux », car dans fake (terme popularisé par les fameuses fake news du 45e président des Etats-Unis), l'on goûte tout le kitsch du toc qui singe le vrai tout en assumant son geste fallacieux. A « bobo », trop politisé, Cassely préfère « hipster », plus neutre et descriptif : le branché en quête de vrai qui fustige le générique - une non-France sans âme envahie de McDonald's - et qui poste ses expériences authentiques sur Instagram. « Passer de "faux" à "fake" signale un changement d'époque, de génération et de problématique. »

L'Hyper France est donc cette « propension à produire du néo-vieux, à jouer avec les signes de la francité et à composer un univers à partir des calques qui composent l'expérience du folklore français ». En d'autres termes, c'est « la version disneylandisée du quotidien français traditionnel ». L'hyper français se retrouve partout. Jean-Laurent Cassely liste comme tel, adresses, marques, enseignes, œuvres : Aux Bons Crus (vrai faux restaurant de « routiers »), le Slip français (le calbut de Bourvil revisité, distinctif par sa bande élastique tricolore), Le fabuleux destin d'Amélie Poulain (film dans un décor montmartrois de carte postale). La hipster way of life, en somme, c'est jambon-beurre... avec Wi-Fi et sans gluten.

Jean-Laurent Cassely
No fake : contre-histoire de notre quête d’authenticité
Arkhê
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 18 euros ; 260 p.
ISBN: 9782918682554

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