Rentrée d'hiver 2022

Malika Rahal, « Algérie 1962 » (La Découverte) :Désaccords d'Évian

Malika Rahal - Photo © Charlotte Krebs

Malika Rahal, « Algérie 1962 » (La Découverte) :Désaccords d'Évian

L'historienne Malika Rahal revient sur l'année 1962 et sur la façon dont elle fut vécue au quotidien en Algérie.Tirage à 3500 exemplaires.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 09.12.2021 à 21h00 ,
Mis à jour le 12.12.2021 à 10h00

Anticipant le flot commémoratif qui s'annonce en 2022, Malika Rahal a eu l'idée de déplier l'événement 1962 comme on pourrait le faire d'une carte, en puisant dans les archives du Comité international de la Croix-Rouge à Genève (CICR) et en convoquant de nombreux témoignages. Et le résultat est à la hauteur des attentes. Car en cette année particulière se joue un double départ, celui des Français d'Algérie et celui des Algériens vers l'indépendance.

Chercheuse à l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP), Malika Rahal découpe son enquête en trois moments. Elle revient sur les accords signés le 18 mars 1962 à Évian entre les délégations du gouvernement français et du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Elle s'enquiert ensuite du référendum d'autodétermination du 1er juillet 1962 dont les 99,35 % de « oui » entraînent le transfert de souveraineté le 3 juillet et la proclamation de l'indépendance le 5 juillet. Enfin, elle s'intéresse à la mise en place du premier gouvernement d'Ahmed Ben Bella et à la proclamation de la République algérienne démocratique et populaire le 25 septembre 1962.

À travers ces moments, elle montre les désillusions d'une révolution confisquée. Comme l'écrit Boualem Sansal dans son dernier livre, Lettre d'amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre (Gallimard, 2021), « le 5 juillet 1962, l'Algérie entrait par la grande porte dans l'indépendance, qui se referma sur elle le lendemain, 6 juillet, après quelques heures de fête, pour s'ouvrir le 7 sur une autre guerre, une nouvelle colonisation ».

Aux absents

Auteure d'une enquête sur Ali Boumendjel (Belles Lettres, 2010, réédité en poche à La Découverte au même office), le militant de l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) dont l'assassinat par les Français fut maquillé en suicide, l'historienne veut redonner place à ceux qui semblent être absents de leur propre histoire, les 9 350 000 habitants qui sont restés en Algérie. C'est cette « histoire des gens » qu'elle cherche à retranscrire sur le modèle de l'Histoire populaire des États-Unis d'Howard Zinn (Agone, 2002). « L'année 1962 constitue donc un entre-temps, marqué par des incertitudes qui participent de l'événement et qu'il ne s'agit pas de gommer en y plaquant des interprétations ultérieures. »

En remettant l'année 1962 au centre, elle met en évidence la violence de l'OAS et les règlements de compte au sein des mouvements de libération algériens, la reconstruction des corps blessés physiquement et moralement par ces guerres, l'apparition dans un court moment du territoire algérien dans sa globalité, la reprise des terres et la rupture temporelle engagée dans les esprits par cette transition. Entre les lignes de fracture et les déceptions, une histoire plus complexe se révèle, entre terreur fantasmée et terreur réelle : l'effondrement d'un monde pour les uns et le désarroi pour les autres où s'épanouissent les « fragments de passé non résolus » qui empêchent de passer à autre chose.

Malika Rahal
Algérie 1962
La Découverte
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 25 € ; 496 p.
ISBN: 9782348073038

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