Avant-Portrait

A voix haute. Mais sans public, d'abord. C'est ainsi, logiquement, que Marc Roger a écrit son premier roman qui synthétise en fiction les enseignements de vingt-cinq ans de pratique d'un métier qui a chez lui tous les attributs d'une vocation : lecteur public. Il reconnaît avoir inventé des personnages proches de lui pour pouvoir parler sans didactisme de la lecture à voix haute, ici sous la forme particulière de ce qu'il appelle « lecture de compagnie », et s'être largement inspiré de sa propre expérience pour imaginer un jeune garçon en délicatesse avec les livres, cuisinier dans une maison de retraite, apprenant l'art de lire auprès d'un vieux libraire lettré atteint de la maladie de Parkinson.

Du souffle

Celui qui fut « Coup de cœur du jury » du grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques en 2014, présidé cette année-là par Amélie Nothomb, établit une distinction entre ce métier « encore mal connu » de lecteur public et l'art du conteur ou de l'acteur. Si le conteur lit des histoires du répertoire en choisissant ses propres mots, Marc Roger fait passer à l'oral les mots de Mabanckou, Gaudé, Baricco, Chateaubriand ou London... des écrivains de son panthéon personnel dont il colporte les voix de médiathèques en écoles, de places de village en maisons de retraite, de prisons en librairies. Mais la frontière, reconnaît-il, est assez ténue avec le jeu du comédien que cet ancien instituteur a été dans une première vie. Le lecteur doit surtout s'adapter à son public. Outre « la hiérarchie des textes » qui impose les modalités de la mise en voix, c'est avant tout la « hiérarchie des oreilles » qui compte. L'âge de son auditoire va de la petite enfance à la grande vieillesse. Et sa disponibilité est bien différente selon que l'on s'adresse à des pensionnaires d'Ehpad, pour qui la lecture doit être une « béquille aux oreilles », ou à un public bien disposé et attentif comme celui de la médiathèque de La Rochelle venu avec son sac de couchage écouter Martin Eden à l'occasion de la récente Nuit de la lecture.

A ses débuts, Marc Roger lisait surtout des histoires courtes, puis il a commencé à proposer également des montages de romans pour des lectures en une heure. Aujourd'hui, il est parfois accompagné de musiciens. Pour le jeune public - mais pas seulement -, il recopie le texte au dos des albums pour pouvoir lire le visage dissimulé et laisser au livre et aux images toute leur place. Toutes ces techniques, il les a appliquées dans des voyages au long cours, seul et à pied, jalonnés de lectures : un tour de France, un tour de la Méditerranée ou cette Méridienne Saint-Malo Bamako, parcourant les 7 000 kilomètres qui séparent la ville où sont enterrés ses parents de celle où il est né. 

Dans les formations qu'il dispense à travers sa compagnie La Voie du livre, Marc Roger transmet son savoir-faire en insistant sur l'engagement physique. Le lecteur public est un « athlète de la lecture », une « voix armée ». Pour affronter notamment des marathons de plusieurs heures, il s'entraîne comme un sportif. Comme le jeune Grégoire à qui son mentor fait réciter Ecrit après la visite d'un bagne de Victor Hugo, sous l'eau en tenue de plongée dans un canal en plein hiver, pour lui montrer l'importance du souffle. Histoire vraie ? « J'ai mis en situation romanesque des choses authentiquement vécues », assure-t-il. La littérature érotique qui passe à l'oral dans une maison de retraite ? Anecdote réelle. Provoquer un petit scandale pour avoir lu Chasseurs de vieux de Dino Buzzati ? Vrai aussi. « J'ai même été viré. » Marc Roger en a tiré le conseil suivant, relayé par le vieux libraire dans la fiction : il fallait le lire sans annoncer le titre.

Marc Roger
Grégoire et le vieux libraire
Albin Michel
Tirage: 0
Prix: 18 euros
ISBN: 9782226437815

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