Entretien

Maria Pourchet : « La fiction, c'est la joie »

Maria Pourchet - Photo © Marie Rouge

Maria Pourchet : « La fiction, c'est la joie »

Deux ans après Western, Maria Pourchet revient sur la scène de la rentrée littéraire avec Tressaillir, un roman âpre et douloureux qui est aussi celui de la maturité. Entretien avec une romancière qui évolue librement entre Romain Gary et Pierre Bourdieu.

J’achète l’article 1.5 €

Par Propos recueillis par Olivier Mony
Créé le 02.06.2025 à 12h00

Livres Hebdo : Comment est né votre nouveau roman Tressaillir ?

Maria Pourchet : Au départ, il n'y avait rien. En tout cas, pas de thème préconçu comme dans Western où je savais que mon sujet serait le donjuanisme adapté à notre époque. En fait, c'est parti comme toujours d'un endroit pour écrire. Pour moi, c'est le Lot, son causse, l'été. Je m'y suis trouvée dans l'écriture, c'est vrai, dans un état de postrupture. Pour autant, ce n'est en aucun cas un livre de nature autobiographique. Je n'en ai ni le goût ni l'usage. À l'arrivée, je crois que Tressaillir boucle la boucle d'une sorte de trilogie (qui n'en est une que pour moi) autour de personnages de femmes. C'est un peu comme si j'avais pris la Laure de Feu pour l'amener à un autre endroit de sa vie.

Y a-t-il dans vos livres, dans celui-ci en particulier, une impulsion première et quand avez-vous eu l'impression de tenir votre voix (ou votre voie) ?

Dans tous mes livres, à la base, il y a un son, et une fois celui-ci trouvé, c'est parti. Un son, c'est-à-dire la musique du texte à venir, la manière dont « ça danse ». Là, je suis partie d'une image, l'image d'une biche surgie de la forêt... Et d'ailleurs, au début, avec la présence de la forêt des Vosges, ce que je produisais était un peu ésotérique, il a fallu que je me méfie de ce côté mallarméen. Je n'ai vraiment trouvé la musique du livre que quand j'ai commencé à parler de l'enfance.

Comme souvent, votre roman est mû par une dialectique de présence au monde, à ses lignes de tension, à ses débats, mais aussi d'absence, parfois radicale, de retour à soi...

En réalité, c'est indissociable. Je ne peux pas parler de la vie intime d'une femme sans que cela s'articule avec sa condition, celle dont elle hérite et celle qu'elle recherche. Et c'est précisément ce dialogue, voire parfois ce conflit, qui m'intéresse. On a pu penser que Western par exemple, par son sujet apparent [la condition masculine à l'ère #MeToo], par la manière dont il est traité, fait trop de cas des débats qui parcourent notre société. Je crois que c'est un faux problème. Et puis après tout, et c'est heureux, il reste toujours des interlocuteurs pour parler de littérature !

Vous êtes aussi une romancière dont le travail s'inscrit profondément dans la notion de paysage. Ceux de vos livres, parisiens ou ruraux, comme ici les Vosges de votre enfance ou souvent le Lot, sont précisément incarnés... Oh ça, vous savez, c'est Giono ! D'une certaine façon, c'est lui qui m'apprend le français, la langue et le paysage. Lui qui m'apprend que de paysage, il n'y en a qu'un, intérieur et extérieur. Souvenez-vous des Âmes fortes, où la fierté et la radicalité des rêves sont aussi celles des paysages. Faire abstraction de ça, cela m'ennuierait. Houellebecq y arrive certes, mais c'est le seul, je trouve. Pourquoi se priver de la sensualité de la matière, du décor, de l'organique ? En tout cas pour moi, la question ne se pose pas. J'ai grandi entre la vallée, à la lisière de la forêt, et la montagne. Devant moi, des champs cultivés et très vite, une interminable étendue de forêt primaire. Père ingénieur agronome, mère botaniste amatrice et fervente, une passion de toujours pour les arbres... Alors oui, c'est vrai, les paysages...

Ce qui donne raison à Barthes et à son « il n'est pays que de l'enfance ».

Oui, dans la mesure où on peut avoir plusieurs enfances dans une vie. Le Lot par exemple, pour moi, en est une autre.

Pourquoi êtes-vous si attachée à inscrire votre travail d'écriture dans le seul champ de la fiction ?

Je considère de plus en plus la fiction comme la noblesse de l'exercice littéraire. Par exemple, le livre où je m'en suis le plus éloignée, Toutes les femmes sauf une, je ne le ferais plus pareil aujourd'hui. Parce que la liberté de l'écrivain s'arrête où commence le risque de foutre en l'air la vie de l'autre... Et que ce risque est tamisé par la fiction. Dans Tressaillir, qui est un roman, c'est moi seule qui joue ma peau. Ce n'est pas qu'une question d'art, ni qu'une question de technique, c'est une question de dignité. Il faut parfois se méfier du risque de la toute-puissance. Il y a dix ans, j'étais face à ce risque, sur une ligne de crête... De plus, je n'aime guère l'exposition froide des choses. Or je le sais maintenant, si je ne l'ai pas toujours su, la fiction, c'est la joie. Après, comme lectrice, je me dirige toujours d'abord vers la langue.

Podcasts, scénarios... Pourquoi avoir sacrifié tout de même à d'autres formes d'écriture que le roman ?

Ce sont en quelque sorte les vacances de l'obsession mentale que finit toujours par devenir le roman... Ça commence à chaque fois comme une récréation et finalement... Là, je suis en train d'écrire un livre jeunesse, on verra bien. Et puis, par exemple L'amour sans, le feuilleton sonore que j'ai écrit pour Canal+, j'ai beaucoup aimé faire ça. Pour moi le son, c'est extraordinaire. Depuis toujours et aujourd'hui encore, je ne m'informe que par la radio.

C'est aussi l'occasion pour vous, comme dans la série pour France Inter « Un été avec Romain Gary » ou dans le téléfilm L'enchanteur, de revenir sur votre passion pour l'auteur de La promesse de l'aube...

J'ai découvert Gary à l'adolescence. Je ne crains pas de dire que cela m'a donné une religion. C'est-à-dire un fil d'interprétation, une lecture du monde et de la société, un espoir.

Vous êtes sociologue de formation. Que vous reste-t-il de la sociologie dans votre travail d'écrivain ?

Il m'en reste beaucoup parce que justement, la sociologie pour moi est d'abord une lecture et c'est celle qui vient juste après celle de Gary. Ce qui m'en reste aussi, c'est l'idée toujours prégnante que la violence de classe est la plus forte des violences. Parfois on s'en détourne, mais elle finit toujours par faire retour. Je crois qu'en ce sens, le modèle d'interprétation de Bourdieu est toujours vrai. Et puis regardez, s'il n'y a pas de violence de classe, il n'y a pas de roman. J'entends par là le grand roman classique du xixe. Il est vrai par ailleurs que j'étais une enfant anormalement sensible aux questions de différences de classes...

Quelles œuvres vous accompagnent, vous nourrissent, aujourd'hui ?

Sans trop réfléchir... D'abord, lorsqu'il n'y a plus un son en moi, le lis et relis Giono, vous l'aurez compris. Sinon, il y en a tant. Le livre de l'intranquillité de Pessoa, l'œuvre de Blanchot, d'Ernaux, de Salinger bien sûr...

Avez-vous une idée, au regard de votre trajectoire depuis la publication d'Avancer, votre premier roman, de ce vers quoi vous pourriez vous diriger dans les années et les livres à venir ?

Non, pas vraiment. Je pense surtout, sans m'avancer plus loin que le prochain livre, à l'endroit et à la saison... Mais je sais que je n'ai pas fini de parler des femmes, de la famille, des violences de classe.

Maria Pourchet
Tressaillir
Stock
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 336 p.
ISBN: 9782234097155

Les dernières
actualités