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Comme son aînée de septembre, la rentrée d'hiver compte ses poids lourds aux méga-tirages, à l'instar de Pierre Lemaitre (250 000 exemplaires pour Les belles promesses, Calmann-Lévy), de Mélissa Da Costa (200 000 copies pour Fauves) ou Thomas Schlesser (150 000 exemplaires pour Le chat du jardinier), tous deux publiés par Albin Michel. Elle mise aussi sur ses figures incontournables : Delphine de Vigan, Philippe Besson, Gaspard Koenig, Cécile Coulon, ou encore Éric Vuillard.
Chaises musicales
D'autres grands noms de la scène littéraire sont attendus par leur lectorat. Il en est ainsi de Constance Debré avec Protocoles et d'Alexia Stresi avec Grand prince, toutes deux chez Flammarion, ou encore de François Bégaudeau qui retrace dans Désertion (Verticales) le parcours de Steve, de sa petite ville côtière de France à Raqqa en Syrie. Gautier Battistella revient quant à lui chez Grasset avec Bocuse, plongeant dans l'histoire de ce chef légendaire.
Le grain de beauté de Mathieu Simonet paraîtra chez Philippe Rey le 8 janvier.- Photo BRYAN LEHMANNPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Après un premier essai, Alexandre Jardin reste chez Michel Lafon pour son nouveau roman, La femme qui inventa l'amour, qui se déroule dans l'Empire chinois au xiiie siècle avant J. C. D'autres transferts se font à la faveur de l'hiver. Alors que Lattès « perd » Cécile Guidot, puisqu'elle publie Je suis la fille de Casanova au Mercure de France, la maison accueille Caroline Lunoir avec Celui qui part, un roman d'anticipation qui nous projette en 2033, tandis que la guerre fait rage aux frontières de l'Europe.
Quittant Grasset pour L'Iconoclaste fin 2024, l'éditrice Juliette Joste a embarqué Hugo Boris, de retour avec Regarde-moi tomber, mon amour sur le parcours d'un secouriste de haute montagne, ainsi que Mathilde Forget avec Certaines fièvres échappent au mercure, dont la protagoniste est hantée par l'angoisse de voir disparaître ceux qu'elle aime. Le deuil est aussi au cœur du Grain de beauté, de Mathieu Simonet, qui arrive chez Philippe Rey avec ce roman autobiographique sur la vie avec l'être aimé disparu.
Philippe Sollers est un protagoniste du Voyage tranquille au pays des horreurs de Jean Berthier (Le Cherche Midi, sortie le 15 janvier). Ici sur le plateau du Musée imaginaire, en 1974, à l'âge dudit voyage.- Photo INA VIA AFP - LASZLO RUSZKAPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Secondes chances
Scrutés en toute rentrée, les seconds romans le sont encore davantage lorsqu'ils sont le fait de personnalités médiatiques. Après Point de côté, paru en 1995 chez Flammarion, Judith Godrèche revisite son enfance dans Prière de remettre en ordre avant de quitter les lieux (Seuil).
Parmi la vingtaine de seconds romans à paraître, figure aussi Les habitantes de Pauline Peyrade (Minuit). Goncourt du premier roman en 2023 avec L'âge de détruire, la romancière dépeint une protagoniste vivant seule avec sa chienne dans la maison héritée de sa grand-mère. Après le succès de son premier roman, Juliette Oury suit son éditrice Emma Saudin de Flammarion à L'Observatoire, où elle publie Brûler grand, déjà en cours de traduction dans plusieurs langues, qui interroge notre rapport au travail.
Philippe Manevy sort La montagne ardente au Bruit du monde le 5 février.- Photo ANNE PELLOISPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Pour son deuxième livre, Vincent Jaury construit dans Archive de Berthe Bendler (Grasset) une enquête sur la vie de sa grand-mère. Il en tire le fil, de son adolescence en province à sa vieillesse à Paris, en passant par Nice durant la Seconde Guerre mondiale, évoquant ainsi les traumatismes de la Shoah.
Une rentrée en famille
La famille, dans ce qu'elle a de plus aliénant et de plus porteur, continue en effet de s'imposer au cœur des romans francophones. Il y a ces chroniques familiales qui permettent de traverser les siècles, comme Une île à l'envers, de Léa Arthemise (Héliotrope), qui explore les failles de l'histoire collective de l'île de la Réunion. Il y a aussi l'observation d'une cellule familiale qui devient méditation politique dans Petit pas de Marion Richez (La Peuplade), dans lequel de jeunes parents modestes refleurissent au contact de leur voisine. Chez Zoé, Aude Seigne observe dans Le nord à contre-jour ce qui se joue dans une famille recomposée à l'occasion de ses premières vacances.
Mais il y a encore, et peut-être surtout, la famille comme espace d'enquête et d'exploration. Après avoir suivi sa lignée maternelle dans La colline qui travaille, Philippe Manevy aborde dans La montagne ardente (Le Bruit du monde) le versant paternel de son histoire. Je n'ai jamais dit papa (Robert Laffont), déclare pour sa part Louis-Philippe Dalembert dans une déclaration d'amour filial autant que paternel. À travers Elizabeth va très bien (Lattès), Julien Dufresne-Lamy livre quant à lui le récit d'un fils qui cherche à saisir la femme qu'a été sa mère, dans une quête de vérité qui le ramène à ces femmes qu'on efface sans bruit.
Hugo Lindenberg reste, lui, chez Flammarion où paraissent Les années souterraines, dans lequel il ouvre la porte de l'appartement de son enfance, « ce chemin de ronces ».
L'enfant de l'ogre de Delphine Saubaber sortira chez Phébus le 15 janvier.- Photo MURIEL BOURQUINPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Enquêtes intimes et politiques
La transmission des traumas et les relations intergénérationnelles sont par ailleurs explorées par le biais de la fiction. Dans Chimère de Julie Wolkenstein (P.O.L), l'intrigue se construit comme une enquête familiale transmise par voix croisées, cinq femmes évoquant à tour de rôle la mort suspecte d'un homme à Rome, dans les années 1990. Un puzzle se recompose aussi dans Le corset de Vanessa Caffin (Héloïse d'Ormesson) où la protagoniste, descendante de femmes étouffées par les conventions, est entravée par des troubles respiratoires. Comprendre ce que le corps porte quand les mots manquent, c'est également l'entreprise de Samira El Ayachi dans Madame Bovary, ma mère et moi (L'Aube), qui aborde la santé mentale des femmes arrivées en France avec le regroupement familial, dans les années 1980.
L'enquête intime croise aussi l'histoire politique chez deux autrices québécoises. Dans Yawenda'. Des glaçons comme du verre (Dépaysage), Isabelle Picard suit une famille du peuple Wendat (qu'on appelait autrefois Huron) de 1956 à 2024, disloquée par les politiques de placement et d'adoption imposées par l'État canadien. Dans Le livre d'Emma (Cambourakis), Marie-Célie Agnant donne la parole à une femme internée dans un hôpital psychiatrique et bien décidée à raconter l'histoire de ses aïeules, remontant le fil de leur vie jusqu'aux bateaux négriers.
L'écriture du féminin est un autre thème fort de la rentrée, avec deux romans chez Actes Sud qui touchent à la maternité. Dans Repentir, Cécile Ladjali livre une méditation sur l'amour maternel et la possibilité du pardon, quand Clarisse Gorokhoff signe Femmes tout au bord, un roman où les femmes refusent de disparaître. Bergères, vagabondes ou « clocharde de village », les femmes dont parle Laurence Potte-Bonneville dans Fossiles (Verdier) disparaissent précisément sans témoin, à moins que l'écriture en garde la trace.
Venise, millefleurs de Ryoko Sekiguchi paraît chez P.O.L le 8 janvier.- Photo FELIPE RIBONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Pour ne pas la perdre, cette trace, Maryline Desbiolles a pris les devants. « Écrivaine cherche des personnes se prénommant Rose pour l'écriture d'un roman. Merci de prendre contact avec la maison d'édition », a-t-elle annoncé dans Libération. Il en résulte Rose la nuit (Sabine Wespieser), où les destins de sept Rose se répondent, traversés par la force et la grâce. Sororité, toujours, chez Sophie Avon qui raconte dans Les filles (Mercure de France) une amitié intransigeante entre deux jeunes filles, dans les années 1970 à Bordeaux.
Teenage dreams
Émois et tourments adolescents se taillent bel et bien une place de choix dans les fictions de l'hiver. À 13 ans, Paul, personnage principal de Mimi en bois d'Adèle Fugère (Buchet Chastel), confectionne une marionnette à l'effigie de sa grand-mère disparue pour consoler son grand-père. Dans Tout me revient maintenant (Les Léonides), le Québécois Jean-Michel Fortier nous embarque à Montréal, au début des années 2000, auprès d'un ado qui tombe amoureux d'un ami de son frère.
Le ton se fait plus grave chez Manu Causse. Connu pour ses livres jeunesse, l'auteur évoque dans La maison du bonheur (HarperCollins) le cancer de sa belle-fille, Youma, à seulement 18 ans. Sicario bébé, de Fanny Taillandier (Rivages), s'empare quant à lui du phénomène de recrutement d'adolescents de plus en plus jeunes par des réseaux criminels internationaux. Un roman inspiré de plusieurs faits divers, comme plusieurs autres en cette rentrée.
Traversées du XXe siècle
Ainsi, l'affaire Sophie Toscan du Plantier, tuée en 1996, est au cœur du roman-enquête Debout, comme une reine, d'Emily Barnett (Gallimard). De féminicide, il est aussi question dans L'enfant de l'ogre de Delphine Saubaber (Phébus), qui s'est inspirée de l'affaire Jubillar, jugée en 2025, pour ce texte qui part du regard de l'enfant. Plus loin dans le temps, Tobie Nathan remonte dans L'assassin du genre humain (Stock) au 18 mars 1946, alors que s'ouvre le procès du docteur Marcel Petiot, accusé de 27 assassinats.
Cette rentrée offre d'ailleurs l'occasion de traverser l'Histoire du siècle dernier. Timothée de Fombelle célèbre dans La vie entière (Gallimard) la puissance de l'imaginaire à travers la figure de Claire, une résistante qui, un soir de 1942, décide d'écrire l'histoire rêvée de sa vie avec son chef de réseau, qu'elle aime en secret et dont le retard laisse présager le pire. Bruno Doucey nous conduit auprès d'une autre résistante, en Crète, au Printemps 1941, dans Où que j'aille (Emmanuelle Collas).
Bruno Doucey présente Où que j'aille chez Emmanuelle Collas le 9 janvier.- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
C'est sur une petite île sicilienne, alors que deux hommes se retrouvent après de longues années, que nous emmène Grégoire Domenach dans Le dernier roi de Marettimo (Bourgois), offrant un récit d'amitié en même temps qu'une traversée du xxe siècle. Guerres coloniales, exil, mémoire des massacres... Ce sont les malheurs de ce même siècle que convoque Pierre Chopinaud dans L'ancien enfant (P.O.L).
Crise de la quarantaine et de la biodiversité
Plutôt ville ou campagne ? Cette rentrée refuse de choisir. La jeune maison d'édition Les Grands Vents propose avec La canicule des pauvres, de Jean-Simon DesRochers, une plongée dans un Montréal frappé par la chaleur. Direction Naples avec Adeline Fleury, accueillie chez Charleston pour Ici, les miracles ont un goût de ciel. La romancière y entrelace le destin d'une femme avec celui d'une ville, hantée par la légende du petit moine, personnage du folklore napolitain. Dans Venise, millefleurs (P.O.L), Ryoko Sekiguchi cherche à appréhender l'âme végétale de la Sérénissime.
La ruralité, elle, s'inscrit de plus en plus dans le paysage littéraire avec ses figures de proue, comme Marie-Hélène Lafon, de retour chez Buchet-Chastel avec Hors champ, ou encore Marion Fayolle, qui décrit dans Petit fruit (Gallimard) la vie à la ferme où l'on glane les prunelles, les paroles et les rêves. Dans La dernière nuit d'Odile D'Oultremont (Julliard), le monde agricole sert de cadre à une histoire de vengeance après qu'un banquier ivre ait tué la vache d'une agricultrice, quand Grégory Nicolas immerge son héroïne, Madeleine, 50 ans, dans l'univers viticole avec Un trésor. Roman à boire (Les Escales).
Des champs de haricots au laboratoire de biochimie, la journaliste Stéphanie Arc construit avec Comment je n'ai pas sauvé la terre (Rivages) une fiction-enquête sur la pollution des terres agricoles par les microplastiques. Le roman Bleue comme la rivière de Louise Browaeys (Phébus) est aussi assurément écologique, faisant résonner crise de la quarantaine et celle de la biodiversité.
Parmi les genres qui s'imposent pour évoquer le changement climatique, celui de l'anticipation continue de prendre ses aises dans les catalogues généralistes. Chez Gallimard, Rémi David imagine dans Prélude à la goutte d'eau l'histoire d'une vengeance marquée par la crise climatique et migratoire au milieu du xxie siècle ; chez Verdier, Camille de Toledo nous projette en 2030 dans L'internationale des rivières ; aux Forges de Vulcain, Éric Pessan imagine dans On ne verra pas les fleurs le long de la route un monde où les livres n'existent plus, mêlant son écriture à plus de mille citations d'œuvres. Ou comment faire 1 000 lectures en une.






