Marie Dabadie, l’âme du Goncourt

Marie Dabadie lors de la remise du Goncourt 2012 à Jérôme Ferrari (en bas à droite). - Photo Olivier DIon

Marie Dabadie, l’âme du Goncourt

Depuis 1998, Marie Dabadie occupe la fonction, spécialement créée pour elle, de secrétaire de l’académie Goncourt. Un statut unique dans le monde du livre, qui lui a valu plusieurs fois les honneurs des médias.

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Par Marine Durand,
Créé le 07.10.2016 à 01h32 ,
Mis à jour le 20.03.2017 à 15h54

eudi 3 novembre à 12 h 45, tandis que Didier Decoin, posté dans l’escalier principal de Drouant, sera en train de révéler à la presse le nom de l’auteur couronné par le prix Goncourt, Marie Dabadie, en coulisse, décrochera son téléphone pour annoncer la bonne nouvelle à son éditeur. Quelques instants plus tard, la secrétaire de l’académie se fraiera un chemin au milieu de la foule pour venir cueillir, à la sortie de son taxi, un écrivain encore étourdi de bonheur. Peut-être sera-t-il effrayé, comme Jérôme Ferrari, le lauréat 2012 (Le sermon sur la chute de Rome, Actes Sud), réclamant sa protection face à la horde de journalistes avides de photos et de réactions. Peut-être sortira-t-il du véhicule le sourire aux lèvres et la tête haute, à l’image de Marie NDiaye, lauréate en 2009 avec Trois femmes puissantes (Gallimard), "au port de reine et au calme olympien". Peut-être faudra-t-il le faire passer par les cuisines du restaurant et grimper avec lui dans le monte-charge aux néons verts peu flatteurs jusqu’au salon des Goncourt, comme en 2010 pour Michel Houellebecq (La carte et le territoire, Flammarion).

Figure à part

Marie Dabadie ne manque pas d’anecdotes sur l’académie Goncourt, ses membres et ses proclamations rocambolesques. Elle-même est une figure à part au sein de l’institution, dont elle gère le secrétariat depuis dix-huit ans : "Je suis la troisième par ordre d’ancienneté. Seuls Françoise Chandernagor et Didier Decoin, élus en 1995 à l’académie, sont là depuis plus longtemps que moi", s’exclame-t-elle. En 1998, François Nourissier, membre de l’académie depuis 1977, a proposé à l’ex-journaliste de "tenir la baraque", ainsi que le rapporte Mohammed Aïssaoui dans son portrait "Marie Dabadie, dans l’ombre du Goncourt", publié dans Le Figaro en 2013. "Je ne pouvais pas refuser un tel cadeau, moi qui ai passé mon enfance le nez plongé dans les livres", explique-t-elle aujourd’hui, nous recevant dans le salon confortable de son appartement, au quatrième étage d’un immeuble en retrait du boulevard Saint-Germain.

Unique salariée

De la bibliothèque, qui occupe un mur entier, aux volumes qui s’entassent au pied de la grande baie vitrée, le livre y tient une place de choix. La secrétaire et unique salariée du prix s’occupe aussi bien de l’organisation des voyages et des réunions que de la comptabilité - "Philippe Claudel a le statut de trésorier, mais je m’occupe des tableaux Excel" -, des archives et du courrier. Elle reçoit aussi, à l’instar des dix jurés, tous les livres de la rentrée littéraire. "C’est une très bonne lectrice, j’ai souvent envie de lui demander son avis", dit d’elle Virginie Despentes, tout en avouant la connaître assez peu. Marie Dabadie assiste à l’intégralité des débats, mais ne prend pas part aux votes et ne s’autorise que très rarement à "sortir de sa réserve" pour donner son avis. Ce fut le cas en 2008 lorsqu’elle suggéra aux jurés que primer Syngué Sabour d’Atiq Rahimi "servirait l’image" de l’académie, raconte L’Express en 2010, dans un article sur la "Petite souris du Goncourt". Entre la création du site Internet du prix et le dépôt du nom "Goncourt", le relais, tout l’été, des fiches de lecture des jurés, et le tirage au sort de l’ordre des votes sur des petits papiers perdus dans un seau à champagne, Marie Dabadie, qui expliquait à Marie-Laure Delorme n’être qu’une "administratrice" (Le JDD, 19 juin 2016), a su se rendre indispensable au plus prestigieux prix littéraire français et à ses jurés. A Bernard Pivot, "son" président, elle voue une vive admiration. A Edmonde Charles-Roux, qui fut présidente de 2002 à 2014, elle conserve une loyauté sans faille. "J’allais la voir chez elle trois, quatre fois par semaine", se souvient-elle. Avant que l’académicienne ne s’éteigne, le 20 janvier dernier, elle a pu lui présenter la journaliste Dominique de Saint-Pern qu’Edmonde a choisie pour écrire sa biographie. Marie Dabadie lui a donné ses contacts et ouvert les archives privées de la famille Charles-Roux Deferre, à Marseille. "C’est un travail qui me tient à cœur, souligne-t-elle. C’était une femme formidable."

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