Entretien

Markus Dohle : « Nous travaillons dans un secteur robuste »

Markus Dohle, P-DG de Penguin Random House. - Photo OLIVIER DION

Markus Dohle : « Nous travaillons dans un secteur robuste »

Pour le P-DG de Penguin Random House (Bertelsmann), qui a accordé à notre confrère allemandBuchreportune interview dont nous publions des extraits, l'édition traverse l'une de ses meilleures périodes depuis sa naissance il y a six cents ans. _ par

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Créé le 18.04.2019 à 22h30

Membre comme Livres Hebdo du réseau international de la presse professionnelle du livre, PubMagNet, notre confrère allemand Buchreport a interviewé dans la Random House Tower, à New York, Markus Dohle, le P-DG de Penguin Random House, filiale du groupe allemand de médias Bertelsmann, 4e éditeur mondial et leader de l'édition généraliste. Il annonce pour son groupe un chiffre d'affaires 2018 de 3,42 milliards d'euros, en progression de 1,9 % grâce au livre audio et à la publication de l'autobiographie de Michelle Obama, lancée simultanément en 31 langues en novembre.

Markus Dohle Penguin Randon House Francfort 2013- Photo OLIVIER DION

Grand bateleur, charmeur, le quinquagénaire allemand a répondu à une trentaine de questions du magazine professionnel. Dans les extraits que nous publions, il livre une vision résolument optimiste de l'industrie du livre, d'un marché mondial porté par le développement du livre pour la jeunesse et du livre audio et, plus étonnement, par la montée en puissance de Netflix et des maisons connectées.

Depuis votre poste d'observation à la tête de Penguin Random House ici à New York, quelle est votre vision du monde du livre ?

Markus Dohle :Optimiste ! Le marché mondial de l'édition traverse une des meilleures périodes depuis sa création, soit il y a presque six cents ans avec Gutenberg.

C'est une plaisanterie ? Vous êtes sûr que nous parlons du même marché, mature, au mieux stable ?

M. D. : Cela fait longtemps que je combats cette vision limitée de notre industrie. Mon optimisme repose sur des faits et des chiffres. Premièrement, le marché mondial du livre est en croissance : l'appétit des lecteurs pour les histoires sous forme de livres grandit chaque année. Deuxièmement, nous avons des modèles économiques stables pour la distribution physique et numérique des contenus. Troisièmement, nous avons trouvé une saine coexistence entre papier et numérique avec 80 % de nos revenus générés par le livre imprimé. Quatrièmement, notre public s'étend chaque année : la population mondiale grandit et le taux d'alphabétisation s'accroît, donc il y a de plus en plus de lecteurs potentiels. Et nous pouvons toucher plus de monde grâce notamment à l'expansion mondiale du commerce en ligne. Cela garantit une livraison du livre papier en trois à quatre jours de l'e-book en trois à quatre secondes aux quatre coins du monde. Cinquièmement, c'est très encourageant de constater que les livres jeunesse et young adult constituent les secteurs à la croissance la plus rapide de ses vingt dernières années. Nous avons de bonnes chances de faire de la prochaine génération des lecteurs de livres tout au long de leur vie.

Pourquoi cette vision positive ne prévaut-elle pas dans l'édition ?

M. D. :Cela dépend des modèles économiques. Quelles industries charrient autant d'idées ? Rien que pour Penguin Random House, nous investissons dans 15 000 idées de livres chaque année, souvent à des stades très précoces. Je dis régulièrement aux éditeurs qu'ils sont les « business angels » de leurs auteurs et de leurs livres.

A vous entendre, cela ressemble à une start-up.

M. D. : Il y a des similitudes entre notre marché mature et celui des entreprises de la Silicon Valley. Les livres ont également leur phase bêta, on lit des échantillons et des épreuves, que nous distribuons à des prescripteurs pour tester le marché. Puis vient la date de mise sur le marché, notre date de parution. Et pour continuer la comparaison, nous misons aussi sur un démarrage rapide, avec idéalement une entrée dans les meilleures ventes. Et que ces titres deviendront des long-sellers - la quête de tout éditeur, n'est-ce pas ? Mais comme dans la Silicon Valley, notre modèle économique génère beaucoup d'échecs, de livres qui ne trouvent pas leur lectorat.

C'est dommage d'avoir ce point commun avec les start-up.

M. D. :On dit qu'il faut accepter ses échecs voire les célébrer tant qu'on peut en apprendre quelque chose. Mais si nous trouvons notre industrie difficile, c'est à cause de cette omniprésence de l'échec. Nous sommes tout le temps inquiets mais en réalité nous travaillons dans un secteur robuste, en croissance globale, et avons toutes les raisons d'être optimistes et pas seulement pour les branches en plein essor. Par exemple, le marché a augmenté ces dernières années aux Etats-Unis tant en valeur qu'en nombre d'exemplaires. Il y a des progressions possibles un peu partout dans le monde et nous continuons à les exploiter.

Quel danger représente l'émergence de nouveaux médias ?

M. D. :Beaucoup disent que l'explosion de Netflix et autres a poussé le visionnage de séries au détriment de la lecture. Bien sûr que ces offres de vidéos en flux continu concurrencent la lecture. Mais elles génèrent aussi une croissance pour le livre car tous les bons films ou séries reposent sur une bonne histoire et la plupart du temps un bon livre. Quand nos livres sont adaptés pour l'audiovisuel, cela impacte les ventes car les fans veulent l'histoire dans sa forme originale.

Mais c'était vrai avant Netflix. Avez-vous vu de récents élans ?

M. D. :Dans notre maison, il y a dix ans, nous avions peut-être dix adaptations par an. Aujourd'hui, il y en a dix fois plus. Et derrière, des centaines de millions de dollars en budgets marketing. Ce sont des ordres de grandeur dont nous ne pourrions que rêver dans notre secteur. Finalement, Netflix et Amazon Prime génèrent des ventes de livres bien plus qu'elles ne leur nuisent, car elles permettent de mieux faire connaître nos histoires et nos auteurs.

Quelles sont vos attentes en matière de livres audio ?

M. D. :Le boom du livre audio est une raison supplémentaire d'être optimiste. Ecouter des histoires est une expérience complémentaire à la lecture. Le lecteur peut s'adonner à d'autres activités : conduire, faire du jogging, cuisiner ou même utiliser les réseaux sociaux. Compte tenu de la concurrence des écrans, c'est un avantage qu'il ne faut pas sous-estimer. Je pense que le livre audio va rattraper son retard sur l'e-book, voire le dépasser d'ici à cinq ou sept ans. Par exemple, nous avons vendu deux fois plus de livres audio que d'e-book de Becoming de Michelle Obama. Et le potentiel de croissance est important, car ce marché en est à ses balbutiements dans la plupart des pays. Amazon, Apple et Google investissent beaucoup dans ce secteur, parce qu'ils sont en compétition pour le marché de la « smart home ». La pénétration des objets connectés dans les foyers nourrit la croissance du livre audio.

Le numérique change l'essence même du métier. A quel point est-ce disruptif pour vos éditeurs ?

M. D. : Toute l'industrie est touchée par le virage numérique. Cela va de pair avec la fragmentation de l'offre et le poids croissant du client final via les ventes en ligne. En tant qu'éditeur, nous devons apprendre à nous concentrer sur le client final, le lecteur. Après presque six cents ans au cours desquels nous avons laissé ce contact direct aux libraires, le défi est de taille notamment dans le domaine du marketing et de la publicité.

Jusqu'où allez-vous pour toucher directement les lecteurs ?

M. D. :Nous faisons de grands progrès, pensons plus du point de vue du client final et utilisons de plus en plus des outils marketing numériques de mesure. En parallèle, nous essayons d'accroître la visibilité de nos livres, en particulier en ligne. Mais la librairie reste le meilleur endroit pour que les lecteurs trouvent leur prochain coup de cœur, et elle le restera encore longtemps.

Une marque internationale comme HarperCollins renforce sa stratégie de lancements mondiaux. Est-ce votre ligne ?

M. D. :Bien entendu, nous nous efforçons de garder les droits dans la famille au niveau international. Les agents savent que nous avons une surface internationale et que nous gérons d'excellentes maisons pour leurs auteurs et leurs livres dans tous les pays où nous sommes représentés. Cependant, l'édition est et reste « multilocale ». Nous souhaitons participer à la culture et à la société des pays où nous sommes implantés, afin de promouvoir les auteurs locaux. En même temps, nous encourageons nos directeurs à partager très tôt les manuscrits prometteurs sur le plan international pour, si possible, les publier ensemble.

Va-t-on vers une concentration accrue de l'édition mondiale ?

M. D. :Pas nécessairement. Les plus petits éditeurs avec une ligne bien définie s'en sortent. L'e-commerce a rendu la logistique plus efficace pour tous, les ventes du fonds sont en croissance et les économies d'échelle dans la distribution sont moins importantes. Quelqu'un qui identifie clairement ses livres à enjeu et les commercialise de manière ciblée peut générer des taux de croissance significatifs, quelle que soit la taille de la maison.

Pour un groupe, les économies d'échelle ne font donc pas tout ?

M. D. :Exactement. Il existe de nombreux exemples d'indépendants prospères, au niveau local. Et, pour les auteurs, Penguin Random House agit comme 300 maisons indépendantes.

Vous n'êtes plus les seuls gardiens du temple puisque les auteurs peuvent se publier eux-mêmes...

M. D. : Les auteurs peuvent commercialiser leurs livres sans éditeur. Tant mieux. L'autoédition nous incite à constamment améliorer et élargir notre portefeuille de services aux auteurs. La concurrence stimule les affaires et nous rend meilleurs. Avec l'autoédition, il y a des millions de nouveaux ISBN chaque année. 50 millions de titres de livres sont disponibles sur Amazon.com dans tous les formats. Ce dont les lecteurs ont le plus besoin, c'est de se frayer un chemin vers leur prochaine lecture. En tant qu'éditeur, nous devons les aider et défendre la qualité. W

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