Trois librairies centenaires 3/3

Maupetit, tel un Phénix

La Librairie des Allées, ancêtre de Maupetit, au début des années 20. La librairie marseillaise fête ses 100 ans en 2019. - Photo DR/MAUPETIT

Maupetit, tel un Phénix

Installée sur la Canebière, à Marseille, Maupetit a connu plusieurs vies depuis qu'elle s'est imposée comme une référence sous la houlette de la famille éponyme. Sa reprise par Actes Sud, après avoir frôlé le dépôt de bilan en 1997, a donné un nouveau souffle à la plus ancienne librairie de la ville. Dernier épisode de notre série sur les librairies centenaires. _ par Clarisse Normand

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Par Clarisse Normand
Créé le 05.04.2019 à 13h16

Première librairie de la deuxième ville française (860 000 habitants), Maupetit ne figure qu'au 44e rang du classement Livres Hebdo 2018 des 400 premières librairies françaises. Avec un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros, dont 3,7 millions réalisés avec le livre, elle revient de loin. Elle a frôlé la mort avant sa reprise par Actes Sud en 1998, qui lui a permis de retrouver peu à peu, sous la direction de Damien Bouticourt, le rayonnement qui fut le sien dans les années soixante à quatre-vingt. Car Maupetit a connu un beau parcours sous la houlette de la famille éponyme.

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Pour créer dans sa ville une grande librairie multispécialiste, Ernest Maupetit reprend en 1919 un petit point de vente de livres neufs et d'occasion, la Librairie des Allées. Créée en 1882 sous l'impulsion de Jean Carbonell, elle est située sur la partie haute de la Canebière qui, à l'époque, s'appelle les Allées de Meilhan. En 1927, lorsque la municipalité débaptise la rue pour prolonger la Canebière jusqu'à l'église des réformés, Ernest Maupetit change son enseigne et lui donne son nom, comme cela se fait à l'époque.

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Ambitions

Portée par les ambitions de son gérant, la librairie se développe. Elle se lance dans le scolaire, l'universitaire ou encore le médical. Elle s'agrandit horizontalement avec la reprise du café voisin, Au Petit duc, comme verticalement, en investissant le premier étage. Si elle continue à se positionner comme une librairie généraliste, Maupetit construit sa réputation sur ses nouveaux rayons scolaire et universitaire. « Dans les années soixante-dix, on avait presque tous les marchés des écoles marseillaises, et les élèves faisaient la queue devant la librairie en période de rentrée scolaire », se souvient Chantal Bellemin, qui en fut la comptable de 1974 à 2012.

Libraire chez Maupetit de 1985 à la fin de sa carrière professionnelle, en 2015, Danièle Goupy se souvient que la librairie, restée familiale avec Victor puis Jean-Michel Maupetit, « était gérée au quotidien de main de maître par sa directrice, Josette Pietri ». Forte d'une équipe stable et compétente, elle s'est imposée sur ce qui était alors la première artère commerciale de Marseille, où se trouvaient trois autres librairies : Laffite, Flammarion et Tacussel. Toutefois l'arrivée de la Fnac dans le quartier en 1977, ainsi que la paupérisation de la ville et le déclin de la Canebière déstabilisent, à partir des années 1980, les librairies marseillaises, largement concentrées autour du Vieux Port.

La librairie historique Laffite, tenue par Pierre Laffite, disparaît, suivie par Flammarion, devenue entre-temps Le Temps de vivre, et par Tacussel. Maupetit n'échappe pas à la fragilisation, d'autant que le décès de Jean-Michel Maupetit conduit à sa mise en vente. La librairie est reprise en 1988 par Eurolibrairies Diffusion, filiale du Grand livre du mois (GLM) elle-même vendue un an plus tard à Plein Ciel. En 1992, le groupe de papeteries se sépare de Maupetit, racheté par le banquier Jean-Pierre Bartoli. Novice dans le métier, mais désireux de redynamiser l'enseigne, ce dernier rénove et agrandit le magasin qui passe à 700 m2.

Réhabilitation

Toutefois le redressement ne vient pas, et l'activité ne cesse de reculer. En 1997, Maupetit est placé en redressement judiciaire. En mars 1998, la librairie est reprise à la barre du tribunal de commerce par Actes Sud, déjà propriétaire d'une librairie à Arles. Jean-Paul Capitani, alors directeur financier et commercial de la maison d'édition, explique à l'époque à Livres Hebdo que cette reprise représentait une opportunité d'investissement dans ce qu'il considère être un poste d'observation du marché, mais aussi et surtout un acte militant visant à maintenir une offre de livres diversifiée à Marseille. L'éditeur, qui est depuis devenu président du directoire d'Actes Sud, connaissait bien la librairie Maupetit pour l'avoir fréquentée alors qu'il était élève du lycée voisin Adolphe Thiers.

Ambitieux pour sa filiale, Actes Sud engage très vite un important plan de relance basé sur un nouvel agrandissement, une diversification de l'offre avec notamment la création d'un rayon BD, mais aussi bien sûr un sérieux coup de pouce donné à la littérature. La direction du magasin est confiée à un professionnel, René Caprioli, venu de la librairie de la Cité, à Carcassonne, tandis que l'équipe est maintenue en place. À l'instar de la librairie d'Actes Sud à Arles, Maupetit développe aussi ses animations et étoffe sa dimension culturelle.

Au milieu des années 2000, la librairie va même jusqu'à vouloir reprendre le cinéma voisin afin de créer un véritable pôle culturel en s'adjoignant une salle de concert, deux salles de cinéma, deux salles de débat et un restaurant. Finalement le projet n'aboutit pas car le cinéma est repris par un promoteur immobilier. Mais la librairie, elle, n'en poursuit pas moins une politique d'animations riche et dynamique. Forte d'un actionnaire solide lui permettant d'envisager sereinement son développement, voire de profiter, si besoin, des ressources administratives de sa maison mère, elle bénéficie également de conditions commerciales privilégiées avec les maisons du groupe. « Le fait d'être une librairie appartenant à un éditeur n'est pas anodin », concède Damien Bouticourt. Mais, si Maupetit fait la part belle aux maisons du groupe, le libraire salue volontiers « l'autonomie dont il bénéficie en matière de gestion et d'assortiment ».

Gentrification

Grâce aux efforts entrepris et à une notoriété locale sauvegardée, Maupetit se redresse progressivement. Mais, aujourd'hui encore, la première des librairies d'Actes Sud (en chiffre d'affaires) reste pénalisée par son emplacement sur la partie la plus pauvre et la moins rénovée de la Canebière. À tel point que certains Marseillais refusent encore d'y venir. « L'histoire de Maupetit est aussi celle de son quartier », reconnaît Jean-Paul Capitani. Pour l'avenir, Damien Bouticourt ne cache pas ses espoirs avec la poursuite du plan de réhabilitation de la Canebière, qui a permis d'installer en 2007 un tramway remontant toute l'avenue et de piétonniser la partie basse, près du Vieux Port.

Le gérant observe, dans son environnement proche, « un mouvement de gentrification. Les installations de magasins Monoprix et Naturalia juste à côté de chez nous sont des signes clairs. Maintenant, plus que jamais, nous attendons l'ouverture d'un grand cinéma. »

Une attente qui n'a rien de passif, puisque Maupetit sort aussi réguliè-rement de ses murs. Tout en montant des points de vente éphémères, la-librairie gère depuis 1993 la librairie du tout nouveau musée marseillais des-civilisations de l'Europe et de la-Méditerranée, le Mucem. Et s'efforce de la faire vivre au-delà des expositions programmées. Damien Bouticourt-entend profiter du centenaire de Maupetit, construit autour du triptyque « Créer, partager et s'engager », pour réaffirmer l'intérêt de ces mots-clés qui ont-vocation à guider la librairie au quotidien.

05.04 2019

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