
Né en 1963, professeur, critique littéraire, homme de théâtre, le Madrilène Miguel Sandin livre, avec Le goût du mezcal, paru en Espagne en 2008, un premier roman sans aucun doute longuement mûri. Patiemment fabriqué, poli, sans que la patte de l'artisan se voie, puisqu'il s'agit d'un ouvrage à tiroirs, à suspense. Mais aussi, au final, d'une réflexion sur l'identité, la manipulation par le biais de la littérature. A quoi s'ajoute un amusant private joke hispano-espagnol sur les différentes provinces qui forment le pays...
L'intrigue principale du roman, qui progresse grâce à des tête-à-tête théâtraux et rituellement fort arrosés au mezcal, met d'abord en scène Eliseo Varela, qui se présente comme un vieil écrivain, né à Valence en 1920. Très malade, en mal d'inspiration, il est revenu au pays après avoir vécu de longues années au Mexique, auteur de romans à l'eau de rose et à succès. Avant de mourir, il aimerait tant écrire "le roman de [sa] vie", son grand oeuvre. Pour ce faire, il recrute, au moyen d'une petite annonce, un certain Augusto Cons, ancien fonctionnaire et veuf inconsolé, monté de sa Galice à Madrid afin d'y refaire sa vie. Pour l'instant, il n'a pas une peseta vaillante (l'intrigue se situe en 1997, avant l'euro) et survit grâce à l'indulgence de sa logeuse, Dona Matilda, et de son copain le cafetier Luis, fan de rock progressif des années 1980. Une femme de la Manche et un Asturien.
Eliseo embauche donc Augusto comme une espèce de secrétaire particulier et le rétribue largement, en échange de quoi, chaque fin de journée, celui-ci doit venir le visiter, lui raconter une histoire de son cru, afin de stimuler sa créativité défaillante. Et ça semble marcher : Eliseo dicte à Augusto ce qui ressemble à une série TV américaine, dont on se doute vite qu'il s'agit de sa propre vie transposée. Il lui demande aussi quelques services supplémentaires : comme de se rendre à sa place à des vernissages ou à des conférences de presse, afin de lui permettre de rédiger les articles censés paraître dans un quotidien mexicain dont il serait le correspondant culturel. C'est à cette occasion qu'Augusto rencontre Berta, une journaliste de Radio Nacional. Coup de foudre et vie commune. Voici résolus d'un coup tous les problèmes du héros... Mais cet enchaînement de bonheurs est-il le pur fruit du hasard, ou bien quelqu'un, dans l'ombre, tire-t-il les ficelles de tout ça, et dans quel but ?
Le lecteur le découvrira petit à petit, grâce à la construction à la fois subtile et rigoureuse machinée par Miguel Sandin, avec une rare maestria. Les personnages sont attachants, l'humour affleure à chaque page : mezcal gagnant.