La critique est critiquée . Profitons-en. Et profitons des blogs pour prendre d’autres chemins que ceux labourés par les médias. Un livre important, bien que ce soit un livre d’entretiens, vient de paraître. Je vous propose de le lire ensemble cette semaine (1). J’attends vos commentaires, vos questions, mais aussi vos étonnements et pourquoi pas vos bonheurs de lectures car ce livre vous ouvre une œuvre comme il n’y en a guère aujourd’hui dans la littérature française. Rendons à César ce qui est au Stalker, sombre blogueur, dont j’admire la rigueur dans sa « dissection du cadavre de la littérature » sans partager ses idées, qui a publié en juin une série sur le Tunnel de William H. Glass (Cherche Midi). Ici, il sera question de Pierre Michon auquel se réfère le titre de ce blog. Bonne semaine, j’espère. Voilà dix ans je rencontrais Pierre Michon. Comme on doit le faire avec un écrivain. Dans un livre qui s’appelait La Grande Beune , caché sous la belle couverture jaune des éditions Verdier. Un livre éblouissant comme un soleil d’été en Corrèze. Cela ne se passait pas en Corrèze, dans la terre de ma famille, mais en Dordogne terre voisine un peu plus gaie. J’ai été ébloui par la langue, le style, le sillon droit laissé par la main d’un écrivain. L’année suivante, je découvrais son visage dans la défunte et regrettée émission Qu’est-ce qu’elle dit Zazie ? Un grand type chauve, semblant trembler de froid malgré un feu de bois dans la cheminée. Pour une fois un écrivain disait quelque chose d’intéressant. On le félicitait pour son livre chef d’œuvre, son livre fondateur : les Vies minuscules (Folio) paru en 1984. Ce livre je mettrai vingt-deux ans à le lire, sans cesser d’en parler, pour en rendre compte dans ce blog. Son titre, plus encore que Les gens de peu de Pierre Sansot (PUF) m’ont fasciné dès que j’en ai entendu parler, sans doute parce que j’ai des ascendances paysannes et une enfance écartelée entre un lycée bourgeois et un père ouvrier menuisier qui savait lire mais pas écrire. Il n’y avait pas dix livres chez nous, mais j’ai toujours vu mon père lire le journal après son retour de l’atelier, douche prise, soupe mise à cuire. Laissons ces souvenirs aux psy pour s’intéresser à la littérature et à ce maître, Pierre Michon. Avec Le roi vient quand il veut , clairement sous-titré Propos sur la littérature (Albin Michel), cet écrivain rare dit des choses essentielles sur ces petits objets méprisés aujourd’hui qu’on appelle les livres. Quand on lit Michon on imagine un grand type maigre, austère pour ne pas dire sinistre. La préface qu’il donne à son livre sous le titre « Le guéridon et le dieu bleu » est à se tordre de rire. Un recueil d’entretiens ? Michon n’en connaît qu’un digne de ce nom, celui de Victor Hugo mais qui avait choisi de jouer le rôle de l’interviewer pour interroger Shakespeare, Annibal, Jésus-christ, la Mort et, bien sur, Léopoldine sa fille morte trop tôt. Il se sert, à Jersey de septembre 1853 à décembre 1855, d’un guéridon à trois pieds qui répond à ses questions en frappant le plancher. Cela, observe Michon permet de poser les bonnes questions. A André Chénier il demande si « on fait des progrès dans le tombeau », à Annibal le nom des légions romaines qu’il a massacrées à la bataille de Cannes et à la Mort « si de nouveau un jour on embrasse les petites filles qu’on a perdues ». Et pourtant, dit Michon, il n’y a rien de risible dans les questions d’Hugo, alors que « nous posons à n’importe quel écrivain, c’est à dire à l’heure qu’il est tout le monde, les questions que Hugo posait, lui, à qui de droit, à qui pouvait lui répondre. Nous nous trompons d’interlocuteurs. Ceux que nous interviewons ne nous apprendront rien. » Pour une fois un écrivain reprend des interviewes qu’il a subi, des propos qu’il a tenus ou plutôt qu’on a retenu de lui (contre lui ?) pour nous parler de ce qui fait de lui un être incomparable : un écrivain. Je ne sais pas, la Bible ?… Ah oui, j’ai oublié de vous parler de l’interview de Zazie . L’intervieweur était bon pour une fois et Pierre Michon lâchait des petites vérités. Ni arrogance, ni fausse modestie quand on lui parlait de ses Vies minuscules comme d’un livre important. Il concédait que c’était une tentative. Poussé dans ses retranchements, l’écrivain disait la difficulté de se dire tel. Je résume en substance ses propos : « On a déjà écrit tant de livres, alors… Si on essaie d’écrire c’est pour se mettre au niveau des grands livres… » Lesquels ? « Je ne sais pas, la Bible ?… » marmonnait Michon. Voilà me disais-je alors ce qui promet d’être intéressant, j’ajouterai aujourd’hui avec ce livre, passionnant peut-être même. __________ (1) aujourd’hui je vous offre la 50 e édition de ce blog entamé le 15 juin 2006. http://stalker.hautetfort.com/
15.10 2013

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