Autobiographie

Mieux que rock-star

Bernard Zekri. - Photo Olivier Dion

Mieux que rock-star

Avec la complicité de son ami Michel-Antoine Burnier, disparu depuis lors, Bernard Zekri a écrit le récit de sa vie peu banale, de la librairie à la photo, en passant par le rap et la télévision.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 24.10.2013 à 16h42

On n’échappe pas à son karma. Au milieu des années 1970, Bernard Zekri, 20 ans, des rêves et de la révolte plein la tête, se trouve à New Delhi, en route vers Katmandou, ses utopies et ses paradis artificiels. Avec son pote de toujours Marc Pifou, ils se laissent circonvenir par un diseur de bonne aventure. Lequel prédit au jeune Bernard - outre un divorce d’avec sa première femme, et trois enfants - qu’il écrirait un livre, un jour. « Même si je jouais le sceptique et n’ai jamais éprouvé aucune tentation mystique, explique-t-il, je reconnais que la prédiction se réalise aujourd’hui. » Quarante ans plus tard, il publie enfin son premier livre, Le plein emploi de soi-même. Un récit autobiographique écrit « à quatre mains » avec Michel-Antoine Burnier, son vieil ami, décédé en mai dernier, alors que leur travail n’était pas tout à fait achevé. « Je ne me prends pas pour unécrivain, poursuit Zekri, ému, mais nous avons vraiment écrit ce livre ensemble. Le texte faisant des allers et retours entre nous. Pour MAB, ce projet, c’était une fenêtre sur la vie, presque plus important pour lui que pour moi. »

L’idée était née entre eux en juillet 2012, lorsque Matthieu Pigasse, propriétaire des Inrockuptibles, avait décidé de se séparer de son directeur de la rédaction, embauché en 2009. Les deux compères, au chômage, s’étaient dit : « Et si on faisait un bouquin ? » En six mois. Parce que, depuis novembre 2012, Zekri dirige l’agence Capa. Un sacré full time job, qui ne lui laisse guère de temps pour ses projets personnels. Un autre livre, par exemple, qu’il écrirait, cette fois, «tout seul»

L’histoire de Bernard Zekri commence à Avallon, dans l’Yonne, en 1966. C’est là que sa famille, « ¾ algérienne, kabyle et musulmane, ¼ espagnole et catholique », débarque en France pour fuir Boumediene et son arabisation forcenée, et s’installe dans le seul coin où ils avaient quelques attaches. L’acclimatation se passe mal. L’ ado Bernard, en violente rupture avec son père, est catalogué « rebelle ». Il lit Charlie Hebdo, La Gueule ouverte, s’enflamme pour Mai 68. Rompt enfin avec Avallon et sa famille pour « monter » à Dijon.

C’est là, après le trip à Katmandou, qu’avec une bande de copains, dont le fameux Pifou et sa copine Brigitte Courtois, il décide, sans beaucoup d’argent, de monter une librairie alternative, Les Doigts dans la tête, « en plein centre-ville, façon Maspero, notre maître. Au moment où la Fnac s’installait, c’était une démarche militante ». Ils ont deux boutiques (livres, disques, galerie), « du stock », rachètent le fonds des éditions Savelli de Paris (« des trotskistes »). « C’était un vrai bonheur, se souvient Zekri. Nous étions devenus la place to be de Dijon ! »

 

 

Producteur de rap à New York

Le garçon, qui ignore ce qu’il veut faire de sa vie, muni de son diplôme de droit, s’intéresse à plein d’autres domaines. La musique, par exemple. Par hasard, il devient le producteur des Circle X, le «groupe extrême» de quatre de ses copains américains à qui il fait enregistrer un disque autoproduit, et va le défendre auprès des journalistes : un certain Jean-François Bizot, le gourou d’Actuel, avec qui le courant passe - il l’embauchera comme grand reporter, de 1986 à 1992 -, ou Rémy Kolpa Kopoul, de Libération.

Mais il ne veut pas rester manager à vie. Il décide de partir, « avec 60 dollars en poche », à New York, « là où tout se passait encore ». Il apprend la langue sur le tas, vit de petits boulots, devient vite une espèce de correspondant officieux, de « fixeur » pour toute la presse française branchée. Surtout, il découvre le rap naissant : « Je me trouve là au moment de l’éclosion, de ce moment de grâce unique où les gens réinventaient tout. » Alors il se refait producteur, d’Afrika Bambaataa ou de DST, et les introduit en France grâce à ses réseaux. S’ensuivent des disques chez AZ, une tournée avec Europe 1.

Toujours entre Paris et New York, Bernard se rend compte, au final, que ce qu’il a envie de faire, profondément, c’est devenir journaliste. « J’ai publié mon premier papier, en anglais, dans Soho News, sur Coluche candidat à la présidentielle de 81 ! »

Ensuite, viendront Actuel, « Mégamix » sur Arte, la direction de la rédaction d’iTélé-Canal+, Les Inrocks, Capa…

Une belle réussite, succession de hasards et de zigzags, sur quoi Bernard Zekri se penche aujourd’hui. Non pas tant pour raconter sa vie que toutes les histoires et les expériences qu’il a vécues, depuis Dijon et Les Doigts dans la tête. « Libraire, écrit-il, c’est mieux que rock-star ou pilote de course. »

 

Bernard Zekri et Michel-Antoine Burnier, Le plein emploi de soi-même, Kero, 286 p., 19 euros, ISBN 978-2-36658-061-7. Mise en vente : 14 octobre.

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