avant-portrait

"Je ne parle pas de mes croyances personnelles. Parler de sa religion, c’est comme parler de ses pratiques sexuelles", lance Mohsin Hamid, avec un grand sourire. Pourtant, il est pakistanais, le premier Etat islamique moderne depuis sa création en 1947, suite à la sanglante partition d’avec l’Inde, et le Pakistan ("le pays des purs") est en proie à une vraie guérilla entre musulmans, fanatiques talibans et "modérés". Il est vrai qu’Hamid est passé à Paris juste avant les dernières attaques contre l’aéroport de Karachi et qu’il vit à Lahore, à l’autre bout du pays, où il s’est réinstallé en 2002 après avoir vécu à Londres et aux Etats-Unis. Lahore, antique capitale du Pendjab et haut lieu de la culture islamique. Tout l’univers de ce musulman pendjabi est imprégné par le soufisme, cette doctrine mystique née en Perse dont l’un des vecteurs est le ghazal, poème d’amour en ourdou adressé à un être humain ou à la divinité. Son grand-père, ingénieur civil, était d’ailleurs un pir, un dignitaire soufi, et sa jeune femme, italo-pakistanaise rencontrée à Londres, est elle-même chanteuse de ghazals. Quant à son nouveau roman, son troisième, Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante, Mohsin Hamid, qui aime bien traiter de théorie littéraire, le décrit comme "un poème soufi, une forme de sagesse, un refuge mental contre notre société marchande, qui nous apprend à privilégier l’intérêt personnel, un chant d’amour face à la barbarie. Au Pakistan, l’islam est politisé et déspiritualisé, c’est un désastre".

Le livre se présente comme un manuel de "développement personnel" à l’américaine. L’auteur s’adresse à la deuxième personne à un héros jamais nommé, un gamin défavorisé né à la campagne, quelque part dans un pays anonyme. Et explique à son lecteur le processus qui va lui permettre de vivre son destin. Promis à la misère, il fait preuve de qualités exceptionnelles - acharnement au travail, ténacité - et d’une totale absence de scrupules pour se hisser au sommet, à la richesse, à la puissance, en trafiquant à grande échelle le plus précieux des biens : l’eau minérale. Mais, même au Pakistan, la roche Tarpéienne est proche du Capitole, et le héros, trahi, ruiné, malade, connaîtra une bien triste fin de vie. "Dès que j’ai commencé à écrire mon livre, explique Mohsin Hamid, je savais qu’il n’y aurait aucun nom propre, afin de le "dé-exotiser" par rapport au contexte pakistanais. Et puis, le nom, c’est un marqueur, une marque. Et on est envahi par les marques. Moi, mon art, c’est le storytelling, et je souhaite pouvoir être lu par tout le monde. Dans mon pays, d’abord, et partout ailleurs. Par des jeunes, comme le million d’étudiants pakistanais, dont une moitié de femmes, qui veulent lire des histoires sur leur réalité, et qui n’ont jamais lu de romans avant !"

 

 

Des best-sellers internationaux.

Hamid appartient à cette nouvelle génération d’auteurs du sous-continent indien dont le succès a explosé chez eux, à l’exemple de l’Indien Chetan Bhagat, et qui, à la fois très imprégnés de leur culture, de leurs traditions et parfaitement connectés avec le monde moderne, visent désormais à l’universalité. "Qu’est-ce que ressent un gamin du Mexique en me lisant ?" s’interroge l’écrivain. Nulle fanfaronnade de sa part : depuis son deuxième roman, L’intégriste malgré lui (Denoël, 2007), dont le succès a rejailli sur le premier, Partir en fumée (Stock, 2001), les livres de Mohsin Hamid sont des best-sellers internationaux. L’intégriste malgré lui s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde (dont 500 000 rien qu’en Grande-Bretagne), il est traduit dans plus de trente langues et a fait l’objet d’une adaptation au cinéma par la réalisatrice indienne Mira Nair. "J’ai aimé le film, dit Hamid, parce qu’il est radicalement différent du livre. Je n’ai absolument pas participé à ce projet." Pas plus qu’il ne prêtera son concours à Guillermo Arriaga, déjà en train de travailler à l’adaptation de Comment s’en mettre plein les poches…

Cet être d’exception, produit d’un grand-père soufi, d’une grand-mère féministe, d’un père "universitaire gauchiste", qui a étudié les religions, la creative writing avec Toni Morrison et Joyce Carol Oates, a été consultant en management à New York, et voulait un temps devenir "avocat des droits de l’homme au Pakistan", est avant tout écrivain. Il le sait depuis l’âge de 22 ans. Tout en suivant l’évolution politique de sa région, notamment l’esquisse de normalisation des rapports avec l’Inde de Narendra Modi, il travaille à son quatrième roman. Et prévient : "Je n’en suis qu’à la première version. Ça va être long !" On patientera en savourant celui-là, et L’intégriste malgré lui, repris au Livre de poche en septembre. Jean-Claude Perrier

Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante, Mohsin Hamid, traduit de l’anglais (Pakistan) par Bernard Cohen, Grasset. ISBN : 978-2-246-80782-7. Mise en vente le 1er septembre.

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