N. K. Jemisin, «Genèse de la cité, vol. 1» (J'ai Lu) : Je suis Manhattan

NK Jemisin - Photo © Laura Hanifin

N. K. Jemisin, «Genèse de la cité, vol. 1» (J'ai Lu) : Je suis Manhattan

Le nouveau roman de l'africaine-américaine N. K. Jemisin est une voluptueuse course folle dans un New York tentaculaire, où plusieurs personnages luttent contre des monstres invisibles pour sauver leur cité.

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Par Cédric Fabre,
Créé le 01.02.2021 à 10h06

Un jeune graffiteur noir arpente les toits de Big Apple, des bombes de peinture à la main, brandies comme des armes, et peint des orifices respiratoires sur les murs, « des choses qui respirent et avalent perpétuellement sans jamais se remplir ». Son ami Paulo, sorte d'archange qui veille sur les New-Yorkais, l'encourage, car le temps est venu de lutter contre un mystérieux ennemi sorti des profondeurs, qui tente d'étouffer la ville. D'inquiétants phénomènes se produisent : un immense tentacule s'abat sur le pont de Williamsburg, des araignées géantes envahissent les cours d'immeuble, et certains habitants, dont on ne sait pas pourquoi ils ont été « choisis », croisent le chemin d'une mystérieuse dame blanche qui les avertit d'un danger.

« Une cité pèse sur le monde, elle déchire le tissu de la réalité à la manière d'un trou noir. [...] Les gens viennent à la cité, ils y déposent leur étrangeté, ils en repartent, d'autres les remplacent », fait observer Paulo. Chez N.K. Jemisin, New York est une ville univers quasi organique, où des racines croissent dans les égouts, où poussent d'immenses dents, où l'on subit des modifications gravitationnelles. La ville abrite des monstres en ses entrailles : « Il pousse des crocs à ses bidonvilles ; des griffes à ses centres d'art. » Parmi la foule des New-Yorkais, des « élus » vont incarner littéralement, chacun, un arrondissement de la ville, de Staten Island au Bronx, en passant par le Queens et Manhattan. Ils endurent physiquement ce que la cité éprouve. Une fois unis, ils pourront livrer bataille... C'est leur histoire, leur cavale labyrinthique qui suit des voies tortueuses échappant au plan ultraquadrillé de la ville, que raconte Genèse de la cité.

On croise alors un homme qui, en plein tunnel de Penn Station, fait un malaise et oublie son nom, avant d'adopter celui de Manny, qui se retrouvera à poursuivre un monstre avec un parapluie dans un taxi lancé à toute blinde : « L'énergie de la cité l'emplit jusqu'à expulser de son être tout le superflu, parce qu'elle a besoin de place. Voilà pourquoi il a oublié son nom. » Plus loin, une danseuse, Bronca, est aux prises avec une inconnue bizarre dans les toilettes d'une galerie ; on tombe sur une femme dont une antenne émerge de sa nuque et, sur un ferry, une certaine Aistyn est soudainement envahie par une étrange force coléreuse...

Nous plongeons ici dans un roman catastrophe magistral, symboliste et visionnaire, qui préfigure une Amérique devenue à la fois un vaste terrain de jeux stupides et un décor de films d'épouvante. Composé de plusieurs voix taillées dans une poésie brute et tranchante, Genèse de la cité est en soi un objet littéraire futuriste, même s'il échappe à tout étiquetage ; c'est surtout une ode hallucinatoire à New York, tout autant que le reflet éclatant des rêves pourtant éteints des meurtris du capitalisme et du racisme américains. Avec Grandmaster Flash en bande-son, qui scande : « New York, New York, big city of dreams. »

N. K. Jemisin
Genèse de la cité, vol. 1 Traduit de l'anglais (États-Unis) par Michelle Charrier
J’ai lu
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 22 € ; 510 p.
ISBN: 9782290232514

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