Rentrée littéraire 2021

Nadia Ferroukhi, « Les matriarches. Dernières sociétés de femmes autour du monde » (Albin Michel) : Souveraines

Nadia Ferroukhi-napoli - Photo © Aldo Soares

Nadia Ferroukhi, « Les matriarches. Dernières sociétés de femmes autour du monde » (Albin Michel) : Souveraines

La photoreporter Nadia Ferroukhi nous entraîne aux quatre coins du monde, à la découverte de communautés où les femmes tiennent une place centrale. Tirage à 10000 exemplaires.

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Par Véronique Rossignol,
Créé le 28.09.2021 à 17h15

Ce ne sont pas des femmes qui commandent, pas des amazones, mais elles sont au centre de l'organisation sociale de leurs communautés. Ce sont des exceptions qui, sous des formes variées, opposent un autre modèle à la structure patriarcale dominante, des minorités que la photoreporter Nadia Ferroukhi saisit dans le viseur de son appareil depuis maintenant plus de dix ans et un premier voyage inaugural au Kenya pour le magazine Géo, chez les Samburus et les Turkanas. Là, des femmes ont fondé des villages dont elles ont chassé les hommes et elles se sont organisées pour vivre en autosuffisance.

Dans ce livre dédié à la mémoire de la grande Françoise Héritier, qui a généreusement éclairé la photographe quand elle lui apportait ses clichés après ses reportages, on découvre ces « matriarches », une appellation pas tout à fait appropriée car elle laisse entendre un modèle de domination inversé alors qu'il s'agit plutôt d'autres équilibres de cohabitation, de lignage ou de répartition des biens. Voici donc, souveraines, avec ou sans roi, les Mosos en Chine ; les Minangkabaus à Sumatra où vit le plus grand groupe matrilinéaire du monde (six millions de personnes) ; les Comoriennes ; les Estoniennes de l'île de Kihnu gardiennes des traditions artisanales ; les Ouessantines en Bretagne « encore aujourd'hui maîtresses de l'économie insulaire » ; les Touaregs en Algérie où la tente, cœur de la vie touareg, appartient à la femme ; les Bijagos de l'archipel au large de la Guinée-Bissau ; les Zapotèques au Mexique, détentrices du pouvoir économique et chargées de la transmission de la langue ; et les Navajos aux États-Unis, « colonne vertébrale » d'une nation de 300 000 citoyens.

Si Nadia Ferroukhi pratique des méthodes qui ressemblent à celles des ethnologues et des anthropologues - s'immerger, même si c'est pour un temps plus court, observer - , la démarche documentaire de cette grande nomade, née d'un père algérien et d'une mère tchèque, basée à Paris après avoir vécu en Algérie, à Vienne et aux États-Unis, est avant tout artistique et journalistique. Avec ces portraits mais surtout ces tableaux de la vie quotidienne, ces scènes de cérémonies collectives, légendés par ses soins, elle ne propose pas seulement, comme elle le décrit, une « promenade colorée ». On entrevoit aussi en creux les menaces qui pèsent sur ces microsociétés minoritaires (la fragilité économique, le poids des traditions, les normes viriles persistantes...). Mais comme le souligne Laure Adler dans sa présentation, le travail de Nadia Ferroukhi permet de « nourrir nos forces utopiques » pour parvenir à « dissoudre lentement mais sûrement cette vénéneuse hiérarchie » des sexes.

Nadia Ferroukhi
Les matriarches. Dernières sociétés de femmes autour du monde
Albin Michel
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 35 € ; 176 p.
ISBN: 9782226461988

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