
Le pays dont Sefi Atta donne des nouvelles, c'est le Nigeria, où elle est née en 1964. Son pays, même si l'écrivaine vit aux Etats-Unis depuis quelques années. Ce grand pays d'Afrique de l'Ouest qui doit sa richesse et sa misère à une ressource très inégalement redistribuée : le pétrole. Précisément, dans la nouvelle éponyme de ce recueil, le troisième titre de l'auteure publié par Actes Sud après Le meilleur reste à venir (2008 et "Babel") et Avale (2011), Eve, une infirmière embauchée comme nounou à domicile dans une famille de médecins nigérians installée dans le New Jersey, guette les informations concernant sa ville d'origine, dans la région de Port Harcourt, zone du delta du Niger dévastée par l'exploitation pétrolière. Là-bas, des femmes, des parentes, des amies occupent le terminal de Summit Oil pour faire pression sur les compagnies étrangères qui ont fait main basse sur l'extraction de l'or noir. "Notre histoire a mis quarante ans pour arriver en première page du Times", constate-t-elle.
Elles ont la vie dure ces femmes, héroïnes et souvent narratrices de ces 11 nouvelles, toutes sous le joug plus ou moins pesant des hommes, quels que soient leur statut social et leur niveau de vie. La plupart ayant dû acquérir pour survivre "une bonne maîtrise du silence". Quand elles ne sont pas violentées, lapidées pour adultère selon la charia en vigueur dans le nord-ouest du pays ("Des grêlons sur Zamfara"), elles sont exploitées au risque de leur vie. Dans "Dernier voyage", une mûle prend l'avion pour Londres avec son fils handicapé et des sachets d'héroïne dans l'estomac. Effrayant récit de l'intérieur où l'on vit toute la tension de ces passages à haut risque. "Folie dans la famille" met en scène en 1982 une mère de famille au mari avocat et aux enfants en pension dans des écoles londoniennes, rentrée d'Angleterre à Lagos pour les vacances, dont le monde apparemment privilégié et préservé va basculer en quelques semaines. De l'autre côté de l'Atlantique, la fillette de "Vert", née dans le Mississippi, s'impatiente dans le bureau de l'immigration de la Nouvelle-Orléans où ses parents attendent leur green card de résidents permanents...
L'écriture sans emphase, la narration simple et calme de ces nouvelles en forme de fables tranchent avec la réalité complexe et contrastée que décrit Sefi Atta. Injustice sociale, exploitation sauvage des ressources naturelles et des gens, corruption institutionnalisée, machisme coutumier, cohabitation ethnique et religieuse conflictuelle..., le portrait en creux est redoutable mais non dénué de compassion et jamais surplombant ni directement dénonciateur. "La plupart des enfants étaient pieds nus et tu te retrouvais confrontée à ce dilemme : quelle que soit ta richesse, où que tu ailles à l'étranger, tu ne pouvais échapper à ton propre pays."