De ces trois heures au Carmin, un club échangiste dans un village à une heure de Lyon, Anna, la narratrice du premier roman de Brigitte Gauthier dans la "Série noire", n’a aucun souvenir. Depuis que cette journaliste culinaire de 47 ans s’est réveillée en vrac dans une chambre d’hôpital, elle tente de reconstituer la fin d’une soirée entamée en compagnie d’un ami, ex-amant, photographe. Tout juste revit-elle la nuit par flashs : l’ombre d’un homme qui la caresse, des vertiges, des sensations tactiles, une mémoire archaïque du corps qui lui impose l’évidence : elle a été droguée et violée. Mais qui va croire ce pressentiment quand les médecins ont conclu au coma éthylique ? Quels droits faire valoir quand le regard désapprobateur de tous vous place sur le banc des responsables de leur sort pour "conduite à risques" ? Lorsque l’on est une adepte occasionnelle d’un libertinage librement consenti et partagé ? Quelle légitimité accorder, en l’absence de traces dans les analyses et de témoins, à des images brouillées ? "Je repasse en boucle ce que je sais." Presque rien.
Dans une atmosphère de province à la Chabrol, Personne ne le saura pas explore de l’intérieur un sujet de faits divers, le sleep rape. La phrase au souffle court de Brigitte Gauthier relaie au plus près l’énergie combative d’une femme luttant contre l’amnésie qui garantit l’impunité des coupables. Une femme qui se débat avec son impuissance d’abusée, les ambiguïtés de son statut de victime, piégée de ce rôle-là, aussi. Une traque vitale, celle de sa conscience, sans laquelle on est dépossédé de tout. V. R.