Olivier Sulpice, P.-D.G. du groupe Bamboo : « L'humain compte plus que tout pour moi »

Olivier Sulpice, P.-D.G. du groupe Bamboo : « L'humain compte plus que tout pour moi »

Olivier Sulpice, P.-D.G. du groupe Bamboo À l'automne dernier, pour les 25 ans des éditions Bamboo (les sisters, les profs, le grimoire d'elfie), leur fondateur Olivier Sulpice a fait les choses en grand, mais à la bonne franquette : un festival dédié à ses auteurs à Charnay-lès-Mâcon et une soirée gastronomique dans un château avec des vignerons et restaurateurs locaux. Et entre les deux, une vente aux enchères d'originaux au bénéfice d'associations étudiantes. Des choix simples et sincères, à l'image d'un patron atypique.

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Par Benjamin Roure
Créé le 23.01.2024 à 15h11

Votre groupe vient de fêter ses 25 ans et s'est imposé dans le paysage de la bande dessinée, loin des grandes maisons parisiennes. En regardant en arrière, auriez-vous fait les choses différemment ?

Non, je ne crois pas. Je pense que si on a une ligne claire et qu'on s'y tient, on peut y arriver. J'ai démarré sans diffusion, avec un banquier sceptique, j'ai bossé énormément et je n'ai jamais eu le temps de lire une histoire à mes enfants le soir... Mais j'ai toujours fait ce que j'aimais, avec des gens que j'estime.

La création de votre propre structure de diffusion vous a-t-elle fait passer un cap ?

C'était le plus gros pari. Quand nous l'avons lancée il y a six ans, il nous manquait 20 % de chiffre d'affaires pour être rentable... En 18 mois, on a bondi de 30 %, avant de doubler notre CA en quatre ans ! Donc oui, ça a changé beaucoup de choses. Et c'est surtout très intéressant d'avoir un retour direct du terrain par nos représentants. Notre diffusion est au service du groupe, nous refusons d'assurer celle d'autres maisons : l'objectif n'est pas le chiffre à tout va.

Vous démarrez 2024 en lançant les Aventuriers d'ailleurs, label racheté à Marc-Antoine Fleuret. La croissance passe-t-elle désormais par l'externe ?

Je ne cherche pas à grossir à tout prix, et l'humain compte plus que tout pour moi : la croissance externe, ce sont des rencontres et des opportunités. Je sais à quel point il est compliqué de lancer une maison, je suis passé par là il y a 25 ans. Cette démarche mérite le respect, et Marc-Antoine Fleuret m'a paru totalement honnête quand il m'a approché avec sa collection. Alors j'ai fait comme pour Drakoo avec Christophe Arleston en 2019, j'ai créé une société dans laquelle je suis majoritaire, nous validons les projets ensemble, et Marc-Antoine les suit de bout en bout. Cela donne une nouvelle corde à mon arc : des romans graphiques, des auteurs étrangers, un style de dessin différent...

Pourtant, jusqu'ici, vous rechigniez à produire des romans graphiques pour des questions de rémunération des auteurs...

Produire des livres épais est, je trouve, une forme de régression sociale pour les auteurs, car les forfaits ne sont pas extensibles et je veux que mes auteurs vivent décemment de leur métier. C'est pourquoi j'ai revu les conditions générales de rémunération voilà quelques années, pour partager les fruits d'un succès, et tant pis si ça rogne sur les marges : 12 % de droits d'auteur jusqu'à 20 000 exemplaires, 13 % jusqu'à 40 000 et 14 % au-delà. Et pour tout le monde pareil. Dès ce mois-ci, je propose aussi 1 % de droits aux coloristes à partir de 20 000 exemplaires. 

La diversification semble plus que jamais une planche de salut, surtout pour Bamboo, positionné sur un segment humour en perte de vitesse.

C'est aussi pour ça que j'ai mis plein d'œufs dans plein de paniers ! Longtemps, la ligne humour a tiré la maison en représentant 80 % du chiffre ; aujourd'hui, c'est plutôt autour de 50-60 %, car le manga et la collection « Grand angle » ont bien grandi. L'humour, c'est cyclique. Ça reviendra, les gens ont toujours envie de se marrer !

Bamboo a longtemps eu, et a peut-être encore un peu, l'image d'un éditeur de bandes dessinées populaires de supermarché. Ça vous agace ?

Des BD de merde, voilà ce qu'on m'a dit ! Et quand j'ai repris Fluide glacial, les mots ont été très durs... Au fond, je m'en fiche, mais c'est quand même un peu lourd de se faire donner des leçons par des gens qui ont vendu trois bouquins dans leur carrière... C'est surtout un vrai manque de respect envers les auteurs qui, certes, ne figurent pas sur les listes de prix, mais ne sont pas moins honorables que les autres. Mais je suis au-dessus de tout ça, car je n'ai jamais cherché à faire des « coups », ou alors ça n'a pas marché. Et je ne produirai pas un album intello juste pour gagner une reconnaissance.

Vous cultivez aussi votre identité provinciale.

Loin de Paris, on ne prend pas le melon ! C'est vrai que je ne suis pas à l'aise dans les soirées parisiennes. Et je ne suis même pas au SNE, même si j'essaie de me tenir au courant de ses travaux. Pour moi, le plus important est de demeurer une maison familiale où tout est dicté par le bien-être des auteurs.

Unique actionnaire, ne vous sentez-vous pas trop seul à la tête d'un si gros navire de quelque 70 salariés ?

Je me souviens toujours du seul conseil que m'avait prodigué Jacques Glénat quand j'ai démarré : si tu peux éviter de faire entrer des gens dans ta boîte, évite. J'ai bien stratifié mon organisation, je peux déléguer à des personnes compétentes. Quand j'ai des décisions stratégiques à prendre, je suis seul, tout va très vite. Et quand je m'engage, je vais au bout.

Vous avez 52 ans. Pensez-vous déjà à la suite, alors que vos enfants gravitent autour de l'entreprise ?

Mon aîné a en effet intégré l'équipe à la vente directe aux musées, et ça marche très bien. Le second a fait un stage... Rien n'est écrit, mais passer après le fondateur, ce n'est jamais évident. J'admire d'ailleurs la manière dont Marion Glénat a pris la suite de son père. Après, il m'en reste encore pour 10 ou 20 ans, j'espère...

23.01 2024

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