Avant-critique Carnets dessinés

Orhan Pamuk, "Souvenir des montagnes au loin. Journal dessiné" (Gallimard) : Les carnets de la création

Orhan Pamuk - Photo © Orhan Pamuk

Orhan Pamuk, "Souvenir des montagnes au loin. Journal dessiné" (Gallimard) : Les carnets de la création

Orhan Pamuk livre ici, sans doute, la part la plus personnelle, la plus intime, de son travail.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 27.09.2022 à 09h00

« Ne publie pas de choses trop personnelles », l'avait mis en garde, en 2019, un certain A., une certaine plutôt, où l'on reconnaît sans peine Asli, la femme de la vie d'Orhan Pamuk, à qui ce livre est dédié, avec son amour et sa tendresse. Asli, par ailleurs, assume le rôle redoutable d'être, comme souvent, la première lectrice de son écrivain de mari. Heureusement pour nous, tous ses autres lecteurs, Pamuk n'a pas suivi son conseil, bien au contraire.

Il a décidé de livrer aujourd'hui ce qui est sans doute la part la plus personnelle, la plus intime de son œuvre. Non point les carnets où il écrirait ses livres, mais les carnets dessinés qu'il tient depuis 2009 (ainsi qu'en atteste la chronologie très précise placée en fin de volume), entreprise concomitante avec la création de son musée de l'Innocence, dans sa maison du quartier de Cihangir, où il habite et travaille chaque jour lorsqu'il est à Istanbul. Cette entreprise unique est née d'un fabuleux roman éponyme, Le musée de l'Innocence, paru en Turquie en 2006 (traduit chez Gallimard en 2011). Depuis, Pamuk dessine de préférence la vue qu'il a de chez lui, des coupoles de mosquées, la mer, le Bosphore avec des bateaux, des « croquis de PAYSAGES », écrit-il, et précise : « le PAYSAGE est la base de tout ». Comme Souvenirs des montagnes au loin n'est pas pourvu d'une préface ni d'une introduction, il nous faut attendre la page 24 pour avoir l'explication de toute cette histoire. À l'origine, le jeune Orhan se voulait peintre, avant d'y renoncer à l'âge de 22 ans et de se mettre à écrire des romans. Mais, en 2008, le peintre « mort » en lui a ressuscité, et il a commencé l'année suivante à tenir ses carnets très colorés, où le texte presque calligraphié, en couleurs, se mêle au dessin, au crayon ou à la gouache, aucun centimètre carré de papier ne devant rester vierge. Au passage, on saluera le travail du traducteur, Julien Lapeyre de Cabanes, qui a dû accomplir des prouesses pour rendre tout ça compréhensible en français. Pamuk y note tout ce qui lui passe par la tête, aussi bien ses travaux en cours (son roman La femme aux cheveux roux, par exemple), ses lectures (comme Les confessions de Rousseau), que sa vie quotidienne, mais aussi, par un effet de mise en abîme, des réflexions sur ses carnets eux-mêmes, qu'il emporte partout avec lui.

Lorsque ce livre fut en projet, il a fallu choisir, la matière étant énorme. Il a fallu décider de l'ordre des pages, non chronologique, et de la forme : une succession de doubles-pages en fac-similé. Parfois, tout se télescope. Ainsi, en 2011, Orhan Pamuk effectue un voyage en Inde, au moment même où éclatent les « printemps arabes », attaqués par la presse turque aux ordres du pouvoir. Lui-même, en dépit de son prix Nobel, n'est pas épargné par des « saloperies » qui lui gâchent un peu de son plaisir d'être à Agra, face au Taj Mahal. Heureusement, ses carnets lui servent de bel exutoire.

Orhan Pamuk
Souvenir des montagnes au loin. Journal dessiné Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 42 € ; 420 p.
ISBN: 9782072906633

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