La vie est faite autant de belles rencontres que de rendez-vous ratés. Les jours de pluie on pense plus au second. Et même si nous profitons amplement ces derniers jours d’un réchauffement climatique bienvenu, il m’arrive de penser à Jorge Amado, à Hugo Pratt comme à Kurt Vonnegut. En ce temps-là, il y a bien trente ans, je connaissais un peu Georges Moustaki. Il m’avait même invité au lancement de son livre chez Stock. Mal éduqué, j’étais arrivé le premier, avant l’heure (maintenant je sais : c’est pas l’heure !). Cela m’avait permis de deviser agréablement avec le chanteur. Mais les autres invités arrivant, il me confia à un de ses amis dont je n’ai pas entendu le nom. Des cheveux blancs bouclés, un brin d’embonpoint et une veste à rayures bleue et blanche très estivale. Nous nous sommes observés en silence. J’ai fini par lui demander ce qu’il faisait ? Il se contenta d’un : « J’écris ». Je me sentis obligé de répondre : « Moi aussi ». Et il s’éloigna charmé par l’étendue de ma conversation. Ce n’est qu’après que j’ai appris que ce monsieur s’appelait Jorge Amado. De lui, j’ai lu désormais presque tout. Rêvant de le rencontrer pour de vrai. Devenu journaliste littéraire, bien des années plus tard, la première chose que je demandais à Hélène de Sainte-Hyppolite, la responsable du service de presse de Gallimard, ce fut un rendez-vous avec mon Brésilien fantôme. Rendez-vous pris quelques mois plus tard. La veille, Hélène m’appelait : « Jorge est malade il doit rentrer aujourd’hui. Ce sera pour une prochaine fois. Il vient souvent à Paris ». Qu’à cela ne tienne, j’ai profité plusieurs années après du Salon du livre de Paris consacré au Brésil pour partir à Rio rencontrer Paulo Coelho, Chico Buarque et, bien évidemment, Jorge Amado à Bahia. Mais le pauvre était fatigué, malade, m’a expliqué sa femme au téléphone, le dernier rendez-vous fut annulé. Je n’ai jamais pu lui présenter mes excuses pour mon inculture. Fasciné par Corto Maltese , presque autant par la vie et les mensonges d’Hugo Pratt, je me suis frotté les mains quand le JDD m’a confié la page Livres. J’allais pouvoir rencontrer le « maître ». J’aurais du me méfier. Le premier livre que ce dernier publia après mon entrée en fonction était consacré à Saint-Exupéry, le dernier vol . Même si le l’album ne manquait pas de charme, je me suis dis que mieux valait attendre un meilleur pour solliciter un entretien. J’ignorais que c’était son dernier. Quand j’ai appris cette semaine la mort de Kurt Vonnegut, c’est moins la peine qui m’a assailli, qu’une sorte de rire nerveux. Vonnegut fait partie des auteurs américains importants (son portrait figurait, il y a encore peu, sur les sacs de Barnes & Nobles, célèbre libraire new-yorkais, au même titre que Virginia Woolf et quelques autres). Mais je ne l’ai jamais lu, malgré les encouragements de uns et des autres. Vonnegut avait une autre qualité : c’était l’un des meilleurs amis de mes amis américains. Après m’avoir fait rencontrer Toni Morrisson pour un petit déjeuner dans leur cuisine ils nous avaient promis, quelques années plus tard de réveillonner avec Kurt Vonnegut. Mais le soir du réveillon Kurt était « malade ». Qu’à cela ne tienne. Nous nous verrions quelques jours plus tard pour finir les restes de foie gras, dinde, etc. Patatras! Mrs Vonnegut Jr ne l’entendait pas de cette oreille : « Manger des restes (left overs)… Kurt Vonnegut ?!… » Heureusement ses livres restent. N’est-il pas de plus belle rencontre avec un auteur qu’en ouvrant ses livres après sa mort ? Je commencerai avec Abattoir 5 .

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