27 août > Roman Grande-Bretagne

Le 10 août 1974, au stade de Wembley, le "Charity Shield" (match qui traditionnellement ouvre la saison de football anglais, opposant le vainqueur du Championnat à celui de la Coupe) mit aux prises le Liverpool Football Cup et le Leeds United. Pour la dernière fois, l’équipe de Liverpool (qui sortit vainqueur aux tirs au but de ce match) était entraînée par son coach mythique, Bill Shankly, qui avait annoncé sa retraite un mois auparavant, quinze ans après avoir pris l’équipe en deuxième division et en avoir fait un club respecté jusque sur la scène continentale. C’était en revanche l’une des premières fois que Brian Clough dirigeait Leeds et ce fut aussi l’une des dernières, puisque son bail à la tête du club, prématurément rompu, ne dura que 44 jours.

44 jours : the Damned United (Rivages, 2008) fut le titre que donna David Peace au récit de la descente aux enfers, footballistique autant qu’humaine, de l’éphémère entraîneur de Leeds. On connaissait l’incontesté chef de file du néopolar britannique, auteur de la tétralogie du Yorkshire ou de la trilogie de Tokyo. On découvrait l’amateur de "kick and rush", de la mélancolie des stades et des "working class heroes" du ballon rond. On reconnaissait, des scènes de crimes aux actions de but, d’identiques obsessions pour la chute, les rêves sanglants évanouis. Le crime et le football, métaphore de la scène sociale.

Bref, on n’avait rien compris. Avec Rouge ou mort, que Peace consacre cette fois-ci à la figure de Bill Shankly, le dessein de l’auteur s’avère tout autre, à la fois plus ambitieux et, finalement, plus humaniste. En près de 800 pages, épiques, impeccablement stylées (la scansion permanente, même si elle flirte avec la préciosité, finit par créer un effet fascinant de sidération), Peace dresse le tableau de quinze ans de la vie d’un homme, d’un pays, d’une passion, menée jusqu’au sacrifice de soi-même. Non, le football chez Peace n’est pas, comme le voudrait la doxa, "beaucoup plus que le football". Match après match, but après but, victoire après défaite, jour après jour (ici, non plus 44, mais 5 000, le temps nécessaire à un roman d’accéder à une dimension mythologique), rien de ce qui en constitue l’essence n’est ignoré. Pas même, bien sûr, sa place au sein de l’organisation sociale de son temps. Le choix de Shankly, qui ne fit jamais mystère de ses opinions travaillistes, héros du peuple qui y retourna sans remords à l’heure où se préparait l’arrivée de Thatcher, n’est en ce sens pas innocent. Comme ce titre, Rouge ou mort, qui fait peut-être moins qu’on ne le croit référence à la couleur du maillot des joueurs de Liverpool. L’entraîneur d’une équipe de football est celui qui en édicte les règles sociales autant que techniques. Bill Shankly était un type bien qui croyait encore aux vertus du collectif. C’était le dernier communiste et David Peace est son prophète. O. M.

04.07 2014

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