Entretien

De passage, les 10 et 11 septembre, à Paris, ville qu’elle a découverte dès 1969 et qu’elle affectionne particulièrement, pour deux concerts-performances à la Fondation Cartier, Patti Smith n’a accepté de donner qu’une interview, à Livres Hebdo, pour parler de son nouveau livre, Glaneurs de rêves. Avec humour, simplicité, sans jamais poser à la "rock star", c’est une manière de célébrer son amour de la littérature, de l’écriture qui, pour elle, "est au cœur de tout", et du livre papier, dont elle ne peut s’imaginer que son existence soit menacée.

Patti Smith - J’ai appris à lire très tôt, vers 3 ans et demi. Puis, vers 7 ans et demi, je fréquentais une école baptiste, où on lisait la Bible. Après, j’ai lu Songs of innocence de Wiliam Blake, mais je n’ai pas tout compris !

Vers dix ans, après avoir lu Les quatre filles du Docteur March, un classique de l’époque de la guerre de Sécession, dont l’héroïne était un "garçon manqué", Josephine March, dite Jo. J’ai voulu lui ressembler, devenir écrivain. Et puis, à l’adolescence, je me suis mise à écrire de la poésie, et je n’ai jamais cessé. Ecrire des chansons, devenir chanteuse, faire de la scène, je n’y pensais absolument pas. Je voulais être écrivain, ou peintre. Et puis il y a eu la poésie, lire, écrire, dire, "performer", et le reste est venu tout seul.

Je ne renie pas la chanson, qui m’a fait découvrir le monde. Je dessine, je prends des photos, je réalise des installations, mais tout, pour moi, revient à l’écriture, qui est au cœur de tout. Même si la majorité de ce que j’écris n’est pas publiée.

A New York, quand j’étais jeune, j’achetais des livres de la "Blanche" à la librairie française - même si je ne pouvais les lire -, parce que je les trouvais tellement beaux ! Mapplethorpe m’avait dit : "Un jour, il y aura le nom de Patti Smith sur une de ces couvertures." Aujourd’hui, c’est arrivé. Vous pouvez imaginer mon émotion ! Ce n’est pas une question d’argent, ni de célébrité. Que mon petit livre soit accepté dans une maison aussi prestigieuse, cela me fait me sentir plus forte.

Oui. Knopf, mon éditeur, en a vendu un million d’exemplaires et le livre a obtenu le National Book Award. C’est un livre auquel je tiens tout particulièrement. C’est Robert Mapplethorpe qui, la veille de sa mort, le 8 mars 1989, m’avait demandé de l’écrire, de raconter notre histoire. J’ai mis vingt ans à y parvenir. Je pensais que ce serait un livre culte, et c’est tout. Et, en fait, ça a été le plus gros succès de toute ma carrière ! L’ironie de l’histoire, c’est que, contrairement à moi, Robert voulait gagner beaucoup d’argent et m’encourageait à en faire autant. Or, certains de mes disques ont été interdits à cause des photos de Mapplethorpe sur la pochette, et aujourd’hui, c’est grâce à lui que j’ai gagné de l’argent. Il a eu sa revanche. Il en serait très fier.

En effet, j’y travaille depuis deux ans. Et son titre est secret ! Ce sera un livre très factuel, qui se lit comme un roman. Autobiographique, mais en temps réel. Je ne sais quand il sera publié, sans doute après un nouvel album, qui sortira peut-être cet hiver. Mais je voudrais qu’il paraisse en même temps chez Knopf et chez Gallimard, pour la France.

Dès les années 1950, dans les magazines de mode, de photos, j’ai éprouvé une attirance esthétique pour la France, ses actrices, comme Jeanne Moreau, sa poésie, Laforgue, Rimbaud, Nerval… Tout ce qui était français me semblait le summum. J’ai toujours le même goût, et les mêmes émotions chaque fois que je viens à Paris et que je vais me promener dans les rues. Je suis mieux considérée en France qu’aux Etats-Unis ! Horses a reçu le grand prix de l’académie Charles-Cros, on m’a décorée… Les gens me reconnaissent, me saluent gentiment. Je suis très à l’aise partout. Je n’ai jamais voulu poser à la "rock star" : je viens de la classe moyenne, je suis une clodo, je peux dormir par terre comme au Ritz !

Un jour, à Philadelphie, j’ai vu sa photo par Carjat sur un exemplaire des Illuminations, soldé à 99 cents. Un garçon qui ressemblait à Dylan. Je n’avais pas l’argent. J’ai volé le livre. Il fallait que je me le procure, comme une miche de pain. L’édition était bilingue : au début, je n’ai pas tout compris, parce que je n’ai pas appris le français à l’école, et puis, à force, c’est venu.

Enfant, j’étais très secrète, le monde des adultes ne m’intéressait pas. Heureusement, il y avait le monde des livres. Je ne peux imaginer qu’ils disparaissent. S’il le fallait, j’en fabriquerais à la main ! La possibilité d’un livre, pour moi, c’est magique.

(1) Denoël, 2010, repris en Folio.

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