avant-portrait > Philip Pullman

La vie a plus d’imagination que nous, se dit-on en se rendant chez Philip Pullman, dans les environs d’Oxford. D’un auteur dont l’œuvre a été traduite en 40 langues et vendue à près de vingt millions d’exemplaires, on s’attendait à ce qu’il habite une grosse demeure cossue… Ouste les préjugés ! C’est à la porte d’un petit cottage en brique, entouré d’un jardinet où se meurent les dernières roses d’octobre qu’on s’apprête à sonner.

"J’écris pour moi"

L’apparition de Philip Pullman, grand, affable, aux manières simples et détendues, mais concentré, confirme l’intuition : le succès n’a rien changé à ses habitudes. Son bureau croule sous les livres et les tapis, où trônent, ici et là, quelques guitares classiques. A une semaine du lancement de La Belle Sauvage en Angleterre, se sent-il anxieux ? Pas le moins du monde, semble-t-il. "Le premier à qui le livre doit plaire, c’est moi. J’ignore comment le public va réagir, on verra." Henry James ne disait-il pas : "Si mon livre me plaît à moi, alors il y a une chance qu’il plaise à d’autres" ?

La Belle Sauvage, premier tome de sa nouvelle Trilogie de la Poussière, remet au centre le personnage de Lyra âgée de quelques mois, soit dix ans avant ses aventures dans Les royaumes du Nord. Bien des secrets entourent la naissance de ce nourrisson caché dans un prieuré et convoité par des prédateurs de toute obédience, tous avides de percer le secret de la Poussière.

Une littérature intergénérationnelle

Comme tous les livres de Pullman, La Belle Sauvage est à la fois roman d’aventures, fable philosophique et politique, et charge contre les intégrismes de tout poil. Avec, plus que jamais, l’innocence au cœur. "A mes débuts dans l’écriture, j’avais toujours un plan prédéfini, peaufiné jusqu’au moindre détail. Mais qu’est-ce que je m’ennuyais !, s’amuse-t-il. Maintenant l’écriture me prend par surprise, c’est bien plus excitant ! De toute façon, on ne peut jamais savoir ce que l’enfant va lire. De mes références bibliques, mythologiques, il attrape toujours quelque chose, mais à sa manière."

Au fait, écrit-il pour les adultes ou pour les enfants ? La maturité de la psychologie, l’écriture limpide et le foisonnement de l’imaginaire d’A la croisée des mondes ont en effet ouvert la voie à une littérature intergénérationnelle. La réponse fuse, immédiate, lumineuse : "J’écris pour moi, pour l’enfant que j’étais, pour celui que je suis." A Oxford déjà, alors qu’il était enseignant, Philip Pullman écrivait des pièces de théâtre pour ses jeunes élèves, mais qui séduisaient aussi leurs parents. N’essayez pas de lui coller l’étiquette "fantasy", il la retoque en douceur mais avec fermeté. Tollkien, il le lit pour son imaginaire, mais pas pour sa profondeur psychologique. Dites-lui que son œuvre dégage une réelle puissance poétique, et le voilà qui se lève et brandit une édition ancienne et rare du Paradis perdu de Milton, sa bible. Et au fait, s’il pouvait disposer, comme Lyra, d’un aléthiomètre [sorte de boussole de la vérité, NDLR], que lui demanderait-il ? Illico, il répond : "Comment sortir du Brexit ?" En repassant devant les mystérieuses silhouettes de la Bodleian Library d’Oxford, qui rougeoient dans les ombres du soir, on comprend combien elles ont forgé l’esprit de cet homme.

Fabienne Jacob

La Belle Sauvage de Philip Pullman, Gallimard Jeunesse, traduit par Jean Esch. Tirage : 70 000 ex. 22 euros, 544 p. Sortie : 16 novembre. ISBN : 978-2-07-509126-8

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