Philippe Besson, «Le dernier enfant» (Julliard) : Une journée particulière

Philippe Besson - Photo © Corbis via Getty Images - ERIC FOUGERE 2019

Philippe Besson, «Le dernier enfant» (Julliard) : Une journée particulière

Philippe Besson se glisse dans la tête et le cœur d'une mère qui voit partir de la maison son petit dernier. Tirage à 35000 exemplaires.

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Par Jean-Claude Perrier,
Créé le 19.01.2021 à 12h18

C'est fou ce qui peut se passer dans la tête d'une femme, en une journée à peine. Du petit déjeuner, le dernier pris à trois, dans la cuisine du pavillon de banlieue qu'elle a hérité de ses parents morts dans un accident de voiture, et où ils vivent depuis trente ans. Jusqu'au soir, où Patrick, qui a compris sa détresse, l'enlace tendrement et lui dit simplement : « Allez, viens, on rentre. » Sublimes, forcément sublimes, ces mots prosaïques des gens ordinaires, célébrés par Léo Ferré dans Avec le temps, dont un extrait ouvre le roman.

Le temps, justement, pour Anne-Marie, est passé bien trop vite. À 50 ans, elle en prend tout à coup conscience, en ce dimanche d'été où ils déménagent Théo, leur troisième et dernier enfant, le chouchou, celui qui a failli mourir aussi, à vélo, renversé par une voiture, et pour qui la mère a tellement tremblé. Maniaque, perfectionniste, folle d'amour pour ce fils « d'une beauté extravagante » qui a décidé, à juste 18 ans, d'aller s'installer dans un petit studio en plein centre de la ville voisine, là où il entre à la fac. Logique, inéluctable. Mais si pour ses aînés, Julien, marié à Pauline, et Laura, partie vivre en Espagne, il n'y a pas eu de problème, là, le cas est différent : Théo est l'ultime rempart contre la vieillesse qui vient et cette angoisse terrible de se retrouver seule avec un mari aimant mais taiseux, dans une maison désormais trop vaste et comme vidée de sa vie. L'idée d'avoir « du temps pour soi », comme on dit, épouvante Anne-Marie.

Le déroulement de cette journée particulière est vu à travers le cœur, les pensées, les yeux, les mots et les souvenirs d'Anne-Marie, une espèce de Mère Courage à sa façon. Bien des portes sont à peine entrouvertes. Par exemple, elle réalise qu'elle ne sait rien des amours de son enfant, de sa sexualité. Il n'en parle pas, elle ne lui connaît pas de petite amie. Et s'il rejoignait quelqu'un à la ville, pourquoi pas ce Youssef, le voisin, à peine plus âgé que lui, croisé dans l'escalier durant l'emménagement ? Quelques mots échangés : un revoir ? Théo serait-il gay ? Mystère. De même on ne saura jamais si, Patrick n'ayant pas réagi, Anne-Marie aurait pu partir en vrille. C'est là tout le charme d'un Philippe Besson qui a rarement écrit si juste, si sensible, avec cet art du détail à peine esquissé qui se charge de sens profond, en romancier expert ès psychologie humaine.

Philippe Besson
Le dernier enfant
Julliard
Tirage: 35 000 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782260054672

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