Avant-critique Essai

Pietro Verri, "Méditations sur le bonheur" (Rue d'Ulm) 

Louis Carrogis dit Carmontelle (1717-1806), Monsieur le marquis de Beccaria, auteur du traité des délits et des peines, et Monsieur le comte de Very, diplomate (1766). - Photo © Chantilly, musée Condé

Pietro Verri, "Méditations sur le bonheur" (Rue d'Ulm) 

On le cherche tous, depuis longtemps. Au XVIIIe siècle, le philosophe italien Pietro Verri proposait quelques principes assez simples.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 25.01.2023 à 14h00

Soyez heureux ! C'est presque une injonction lorsqu'on feuillette les ouvrages de développement personnel. Mais hélas, ce n'est pas qu'une question de méthode. C'est bien ce que nous rappelle un penseur italien du XVIIIe siècle. Son petit traité publié en 1763 est traduit, présenté et annoté par Pierre Musitelli, maître de conférences en littérature italienne à l'École normale supérieure. Et c'est une découverte, une petite merveille de subtilité et d'intelligence.De ces Méditations sur le bonheur, nous n'avions que la traduction de Gabriel Mingard. Elle date de 1766. Une relecture s'imposait donc, avec tout l'appareil critique dont nous disposons désormais pour apprécier le texte à sa juste valeur. Philosophe, économiste et haut fonctionnaire du duché de Milan, le comte Pietro Verri (1728-1797) est un proche du juriste Cesare Beccaria, dont l'œuvre majeure, Des délits et des peines (1764), a éclipsé la sienne. Ils appartiennent tous deux à cette école de Milan, un petit cercle de réflexion qui s'est donné le nom d'Accademia dei Pugni, c'est-à-dire l'Académie des coups de poing.

Et c'est bien ce que l'on ressent à la lecture de ce bréviaire qui examine le bonheur selon quelques principes simples. D'abord, il s'agit de rompre avec le bonheur de la philosophie chrétienne qui s'accomplit dans l'autre vie. Pietro Verri nous parle du bonheur ici-bas. « L'excès de nos désirs sur notre pouvoir est la mesure de notre misère : il faut donc, pour s'approcher du bonheur, diminuer nos désirs ou accroître notre pouvoir, ou réunir ces deux moyens. » Il situe le bonheur au niveau social, le « bien-être » devant être inscrit au cœur du politique comme un droit inaliénable et la finalité même de la vie en commun. « Le but du pacte social est donc le bien-être de tous ceux qui concourent à former la société, ce qui n'est autre chose que le bonheur public, c'est-à-dire le plus grand bonheur possible partagé avec la plus grande égalité possible. » En somme, le meilleur gouvernement est celui qui fait le plus grand nombre d'heureux. Dans les deux essais qui suivent ces Méditations, Politique et économie du bonheur dans l'Italie des Lumières et Genèse et réception des Méditations sur le bonheur en Europe, Pierre Musitelli met en évidence l'importance de cette œuvre fondatrice de la pensée politique, morale, économique et sociale, bien avant la formulation du concept de « bonheur national brut » au Bhoutan en 1972, l'émergence des happiness studies aux États-Unis au début du XXIe siècle ou la publication du World Happiness Report de l'ONU depuis 2012. Dix ans après le tremblement de terre de Lisbonne, Verri et d'autres ont pris la mesure de la précarité du monde. C'est pourquoi, selon Pierre Musitelli, « nous sommes les héritiers de cette inquiétude des Lumières ». À une époque où nous savons la Terre en danger, la proposition d'un bonheur collectif, ici et maintenant et non ailleurs et plus tard, est à méditer.

 

Pietro Verri
Méditations sur le bonheur Traduit de l'italien par Pierre Musitelli
Rue d'Ulm
Tirage: 1 000 ex.
Prix: 15 € ; 216 p.
ISBN: 9782728807949

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