Livres Hebdo : Quel constat a conduit L’École des Loisirs à vouloir agir au-delà de l’édition classique ?
Louis Delas : Il faut rappeler que L’École des Loisirs a été fondée en 1923 et était alors une maison d’édition scolaire. Ce n’est qu’en 1965, avec le développement de son activité jeunesse, qu’elle s’est engagée dans la promotion de la lecture auprès des plus jeunes et du plus grand nombre. Depuis, la maison mène avant tout un travail éditorial, mais collabore aussi avec tous les prescripteurs de la chaîne du livre : auteurs, bibliothécaires, enseignants, libraires… tous ceux qui ont pour vocation de mettre les livres entre les mains des enfants ! C’est ça, l’ADN de L’École des Loisirs : un projet éditorial, éducatif et culturel qui prime sur l’enjeu entrepreneurial.
« Grâce à la fondation, nous pouvons soutenir des projets qui ne relèvent pas directement de L’École des Loisirs »
La création d’une fondation permet-elle d’incarner plus concrètement ces convictions ?
Tout à fait. La fondation marque une nouvelle étape dans notre engagement en faveur de la lecture. Les enfants ont plus que jamais besoin d’histoires, et ce, dès leur plus jeune âge, alors même que l’accès aux livres devient de plus en plus difficile pour certaines familles qui ne vont ni en librairie ni en bibliothèque. Pour ces enfants, l’accès aux livres se fait donc par l’intermédiaire de l’école, de supports audiovisuels ou grâce à des « parcs d’attractions littéraires », comme la Maison des histoires, que nous avons inaugurée en juillet dernier. Une billetterie solidaire permet d’y accueillir des centaines d’enfants scolarisés en REP et REP +, renforçant ainsi son rôle d’accès à la lecture pour tous, et sa boutique-librairie revendique un taux de transformation de 80 %, c’est-à-dire que 80 % des enfants et des parents en ressortent avec un ou plusieurs livres. Toutes ces portes d’entrée vers le livre, nous les avons poussées en tissant, depuis 60 ans, un important réseau de partenaires. Mais certains acteurs restaient encore hors de notre champ d’action en tant qu’éditeur. Grâce à la fondation, nous pouvons désormais dépasser cette contrainte, en soutenant des projets qui ne relèvent pas directement de L’École des Loisirs, mais qui vont dans le même sens, et en développant avec eux des actions communes.
Quels seront les grands axes d’intervention de la fondation ?
Nous avons établi quatre missions : soutenir les initiatives et les programmes spécifiques qui favorisent l'accès à la lecture et à la culture auprès des enfants et des jeunes. Promouvoir la lecture comme un moteur essentiel d'émancipation, d'épanouissement et d'inclusion sociale. Faciliter l'accès aux livres, à la lecture pour tous, notamment en soutenant des actions auprès de publics issus de milieux défavorisés ou éloignés de l'offre culturelle, et proposer des ressources pédagogiques, ainsi que des formations adaptées aux professionnels de l'éducation, de l'enfance et autres médiateurs du livre.
Un appel à projets ouvert jusqu'au 16 décembre
Comment allez-vous sélectionner ces projets ?
Il n’y a aucun tabou. Associations, bibliothèques, écoles, tous peuvent répondre à l’appel à projets lancé en octobre et ouvert jusqu’au 16 décembre. Une présélection sera ensuite effectuée par un conseil d’administration indépendant, composé de membres de L’École des Loisirs, de bibliothécaires et de conseillers pédagogiques. Marie-Aude Murail, autrice très engagée dans la promotion de la lecture, soutient également l’initiative en tant qu’ambassadrice de la fondation.
Comment la fondation entend-elle apporter un soutien financier aux initiatives sélectionnées ?
Nous ne bénéficions d’aucune subvention. L’École des Loisirs consacre et abonde chaque année un budget spécifique à la fondation.
La fondation prévoit également de mettre à disposition des ressources pédagogiques. Quelles sont-elles et à qui s’adressent-elles ?
La fondation peut jouer un rôle d’opérateur. L’École des Loisirs a, par exemple, créé une exposition, « La fabrication d’un livre », conçue avec Yvan Pommaux pour les élèves de l’école du primaire au collège, accompagnée d’un dossier pédagogique. En tant qu’éditeur, nous ne pouvions diffuser cette initiative à grande échelle. La fondation va nous permettre de le faire. Grâce à la fondation, nous allons également pouvoir mettre en avant les outils pédagogiques et permettre aux enseignants de s’en emparer. À terme, ce type d’actions sera piloté par l’équipe de la fondation, avec une personne dédiée. Mais, comme je le disais, la fondation peut également se faire le partenaire d’initiatives extérieures, en soutenant financièrement une structure porteuse d’un projet de promotion et d’accès à la lecture.
« Il nous faut réenchanter le livre »
Cette fondation vient-elle combler un manque laissé par les pouvoirs publics face au recul de la lecture chez les jeunes ?
En juillet, les États généraux de la lecture jeunesse ont été lancés conjointement par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. Ce groupe de travail, auquel j’ai participé et qui a été animé par Nicolas Georges, a mené un travail remarquable en réunissant l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. La décision de créer notre fondation, toutefois, avait été prise bien avant ce dispositif. Mais participer à ces États généraux – dont les conclusions seront présentées le 1er décembre, lors de la journée professionnelle du SLPJ de Montreuil – n’a fait que renforcer ma conviction quant à la pertinence de notre démarche. Je crois qu’aujourd’hui, il nous faut réenchanter le livre, en faire un média moderne, joyeux pour le plus grand nombre. Les États généraux, comme la fondation, proposent des actions en ce sens, notamment autour de la formation des prescripteurs. Car, une fois que les éditeurs ont accompli leur mission – produire les meilleurs livres possible –, il faut encore que ces ouvrages arrivent entre les mains des enfants. Cela suppose un travail collectif de tous les acteurs de la littérature jeunesse. Nous devons tous nous y mettre et la fondation, à son échelle, entend apporter sa pierre à l’édifice.
