5 JANVIER - ROMAN France

Carl de Souza- Photo DR/L'OLIVIER

Seuls ceux qui y ont joué, les badistes, savent combien, loin de n'être qu'un aimable divertissement pour jeunes filles en fleurs, le jeu de volant, ou badminton, est un sport, et des plus exigeants. Jeremy Kumarsamy a payé cher le prix de sa passion. Ce champion international de badminton, d'origine mauricienne, est tombé sur le court une fois de trop. Il ne s'est plus relevé, et cette chute initiale n'est que la métaphore de celle sans fin qui l'amène, reclus dans la maison de sa mère, à revisiter ses souvenirs et à renouer le fil rompu de son enfance.

Jeremy Kumarsamy, homme et sportif déchu, est le héros d'En chute libre, le cinquième roman du Mauricien Carl de Souza. Depuis Le sang de l'Anglais (Hatier, 1993) jusqu'à Ceux qu'on jette à la mer (L'Olivier, 2001), il n'a pas cessé de se faire le sismographe inquiet des tensions communautaires et linguistiques qui traversent son pays (partagé, rappelons-le, entre une langue officielle, l'anglais, et une langue usuelle, le français, son pendant créole). Après plus de dix ans de silence, il y revient encore avec le plus sourdement douloureux de ses livres où le badminton, métaphore d'un dialogue impossible, d'une réconciliation continuellement différée, agit comme le miroir brisé du réel. Le sport joue ici le même rôle de révélateur que le cricket dans Netherland de Joseph O'Neill (L'Olivier, 2009). De Souza, lui-même ancien badiste de haut niveau, dit ne pouvoir écrire que ce qu'il a vécu dans sa chair. Ce En chute libre est en effet d'abord un portrait de l'artiste en homme blessé. C'est aussi une interrogation sur la paternité et la maternité. Qui renvoie aux destins joints d'un homme et de son pays et aux tours de passe-passe par lesquels la liberté peut s'enfuir encore. En ce sens, En chute libre est avant tout un grand et beau roman politique.

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